En 1971, le Ministère de l’Industrie écrivait une lettre confidentielle au Conseil d’Etat

Le pouvoir administratif est indépendant, nous enseigne-t-on, du pouvoir judicaire…

Le document présenté, et conservé par le service des Archives de l’Aveyron, ci-dessous semble bien montrer qu’il n’en est pas toujours ainsi et que cette règle ne se vérifie pas dans le dossier de la microcentrale hydroélectrique de Salles-la-Source. Dans ce dernier, comme le montre régulièrement ce site Internet, l’Etat s’est trop souvent compromis dans d’étranges manœuvres, en vue de faire passer en force le dossier et de « donner un coup de pouce » à ses dirigeants…

La lettre « confidentielle » du 28 juillet 1971 du Ministère de l’Industrie, présentée ici, est adressée au président de la sixième sous-section du Conseil d’Etat. Elle n’est pas signée.

La « copie » ci-dessous a été communiquée à un Mr Séguret de la DDE qui était alors chargé du contrôle des distributions d’énergie électrique (l’Instruction de l’affaire étant du domaine de la DDA). L’enveloppe porte la mention « Personnel ». Elle est annotée directement de la main du gérant de la Société Hydroélectrique, Etienne Bastide (par ailleurs, haut responsable d’EDF…). Elle s’exprime notamment  ainsi :

« Je considère, pour ma part, que c’est à tort que le Tribunal Administratif de Toulouse a annulé l’arrêté du préfet de l’Aveyron – s’exprime l’auteur de la missive – motif pris de ce que la puissance globale de l’usine de la société, soit 970 kW, était supérieur au nouveau seuil (500 kW) en deçà duquel  l’exploitation d’une usine hydroélectrique peut faire l’objet d’une semble (?) autorisation. En effet, la puissance précédemment fondée en titre étant de 530 kW, la puissance excédant ce chiffre s’élève actuellement à 440 kW, elle est donc inférieure au seuil ci-dessus indiqué ».

Elle laisse pourtant entendre le fait que la prise d’eau l’usine « entièrement nouvelle » de 1931 est entièrement nouvelle, elle aussi et ne peut donc bénéficier d’aucuns Droits Fondés en Titre.

 

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Rappel des faits :

– 27 février 1931 : dépôt des statuts de la Société Hydroélectrique de la Vallée de Salles-la-Source (SHVSS).

– 12 juillet 1934 : l’Inspecteur des forces hydraulique du sud-ouest, Henri Varlet, s’inquiète de cette nouvelle usine non autorisée. La Préfecture de l’Aveyron traîne les pieds…

– 1939 : le Ministère des Travaux Publics met en demeure la Société Hydroélectrique de demander une concession. Cette dernière forme un recours devant le Conseil d’Etat.

– le 11 janvier 1946, le Conseil d’Etat rejette le recours. La Préfecture de l’Aveyron ne fait pas appliquer la décision…

– le 25 juillet 1962, le Préfet de l’Aveyron fixe même un règlement d’eau qui autorise la SHVSS à turbiner. Cette autorisation est contestée par l’Association pour la Défense du Site de Salles-la-Source.

-le 13 mai 1966, le Tribunal Administratif de Toulouse annule l’arrêté préfectoral du 25 juillet 1962. La SHVSS forme un nouveau recours devant le Conseil d’Etat

le 18 février 1972, le Conseil d’Etat statue, en exigeant de la SHVSS de se mettre sous le régime de la concession comme le lui enjoignait le tribunal Administratif de Toulouse. il n’aborde pas (malheureusement) la question des prétendus droits fondés en titre :

« Considérant que, si, à la date de l’arrêté attaqué, l’usine litigieuse ne comportait plus en service que deux groupes d’une puissance de 400 kW chacun, il résulte des pièces du dossier que, de 1937 a 1941, un troisième groupe de 210 kW a fonctionné en même temps que les deux autres ; que l’expert x… par les premiers juges a établi, sans être utilement contredit sur ce point par la société requérante, que, si l’usine avait pu être équipée d’une puissance totale de 1 010 kW, c’est parce que, compte tenu du rendement des installations et des pertes de charge, la puissance maximum brute produit de la hauteur de la chute par le débit maximum dérivé à prendre en considération au titre de l’article 2 précité de la loi du 16 octobre 1919 était en réalité non de 970 kW mais de 1 300 kW ; que, dès lors, la Société Hydroélectrique était légalement soumise, après déduction des droits fondés en titre évalués à 530 kW, au régime de la concession et non à celui de l’autorisation.

Considérant qu’il suit de là, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la demande, que la Société Hydroélectrique de la Vallée de Salles-la-Source n’est pas fondée à se plaindre que, par le jugement attaqué, le Tribunal Administratif de Toulouse ait annulé l’arrêt du préfet de l’Aveyron, en date du 25 juillet 1962, l’autorisant à exploiter l’usine hydroélectrique dont s’agit ; rejet avec dépens. »

Ce faisant, le Conseil d’Etat n’aborde pas les autres points de la plaidoirie de Maître Vidart et notamment celui des  prétendus Droits Fondés en Titre attribués à une « installation entièrement nouvelle » de 1930  comme le reconnaissait déjà le Conseil d’Etat en 1946

– le 17 mars 1980, un décret de concession est signée pour 25 ans par le Premier Ministre, Raymond Barre. Elle se termine le 31 décembre 2005. Le scenario trop connu de bienveillance préfectorale pour la SHVSS se reproduit et cette dernière continue à turbiner depuis lors sans autorisation…

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4 Responses to En 1971, le Ministère de l’Industrie écrivait une lettre confidentielle au Conseil d’Etat

  1. Edtith dit :

    Comme vous le faites remarquer, cette lettre n’est pas signée. Peut-elle alors être considérée comme un élément de preuve ?

    • Vous avez raison : un indice n’est pas une preuve. Mais on dispose rarement de preuves dans les situations de pressions occultes ou « d’arrangements entre amis ». Et dans notre affaire de Salles-la-Source, il y a de plus en plus d’indices et de plus en plus convergents…

    • Ergé dit :

      Oui, mais il faut noter que c’est Bastide, alors inspecteur général EDF,proche du ministre, qui a envoyé cette copie de lettre à Séguret.

  2. […] juillet 1971 : intervient la lettre confidentielle du ministère du développement industriel au président de la 6ème section … dont les Archives de l’Aveyron ont conservé la copie. Elle est adressée à « M. Séguret, […]

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