La plus longue fraude hydroélectrique de France
Cet article vise à montrer comment, illégale depuis 85 ans, la SHVSS ou Société Hydroélectrique de la Vallée de Salles-la-Source (Aveyron) est, selon nos informations, à l’origine de la plus longue fraude de l’histoire de l’hydroélectricité en France.
Précision préalable : « Ranimons la cascade ! » n’est en aucun cas opposé, bien au contraire, au développement des énergies renouvelables dans un cadre légal, démocratique et respectueux de l’environnement.
L’installation de la SHVSS a été construite sans aucune autorisation à partir de 1930, puis mise en service à la fin de l’année 1932, par le sénateur Amédée Vidal, avec la « bénédiction » des autorités administratives dans le magnifique village de Salles-la-Source. Ce village avait la particularité de compter quatre cascades, le long de deux rivières, dont la principale, la « grande cascade » coulait au milieu du village. les cascades furent donc asséchées, en même temps que les cours d’eau.
La nouvelle installation comprend :
• un barrage souterrain dans la falaise, dans le principal conduit karstique ;
• une conduite forcée de 850 m. de long, et 133 m. de dénivelé, conduisant l’eau au fond de la vallée ;
• une usine, tout en bas du village, à la jonction du Créneau et du Faby, pour le turbinage et l’injection de l’énergie dans le réseau.
D’existence postérieure à 1789, elle ne pouvait bénéficier de droits fondés en titre et n’avait donc pas d’existence légale.
Auparavant, une douzaine de petits moulins disposés en série le long du Créneau avaient été acquis, entre 1892 et 1928, par Mme Vidal, puis remis à la SHVSS en 1931. Ces moulins, qui existaient en 1789, disposaient, pour la plupart, sinon tous, de droits fondés en titre, ce qui leur accordait une existence légale.
Les prises d’eau de chacun des moulins bénéficiaient en permanence d’un droit d’usage de l’eau du Créneau évalué en 1940 à 475 l/s par l’ingénieur Brugidou de l’administration responsable.
Une bonne partie de ces moulins furent peu à peu abandonnés puis transformés ou détruits. En 1931 deux d’entre eux restaient en état de marche mais lors des travaux de construction de la conduite forcée de l’usine, la SHVSS détruisit les ouvrages d’alimentation en eau de tous les moulins, interdisant, de ce fait, à leurs droits d’eau de s’exercer, ce qui a eu pour conséquences l’effacement des droits fondés en titre et la suppression de l’existence légale.
Voici comment 85 ans durant, en déposant de multiples recours, en profitant de la lenteur de la Justice et d’utiles complicités au sein de l’Administration, la Société Hydroélectrique put turbiner illégalement… et comment elle turbine encore !
1) 1932-1980
Sous divers motifs, la Société Hydroélectrique de Salles-la-Source refusa de prendre en compte la loi de 1919 obligeant les propriétaires des moulins à demander une autorisation réglementaire.
Les protestations énergiques de riverains et des meuniers d’aval spoliés, menés par Gabriel Droc qui interpella l’Administration avec ténacité jusqu’à ce qu’enfin, en mai 1939, l’Administration exige de la SHVSS un dossier de régularisation « sous trois mois ». La SHVSS contesta cette mesure devant le conseil d’État… et la guerre passa.
En 1945, le site de Salles-la-Source fut, sous la pression de certains de ses habitants, « inscrit » au Patrimoine.
L’affaire fut enfin jugée en 1946, le Conseil d’État confirmant la nécessité pour la SHVSS de régulariser la situation et de déposer un dossier de concession. « il résulte de l’instruction – écrivit ce dernier – qu’après avoir démoli les barrages qui assuraient le fonctionnement de ces moulins et la déviation qui les alimentait…».
De 1946 à 1959, la décision de justice ne fut pas exécutée… A cette époque, deux habitants de Salles-la-Source, Jean et A. Coudeville, tentent inlassablement de relancer la machine judiciaire et de faire appliquer la décision du Conseil d’Etat. Ils parviennent à le faire en intervenant directement auprès du nouveau Président de la République, Charles De Gaulle, qui connaît bien le gendre d’Amédée Vidal qui a hérité de la rente apportée par l’usine illégale de Salles-la-Source. Celui-ci vient de passer deux ans en tant que directeur de la Gendarmerie et de la Justice militaire après avoir été substitut du procureur de la Seine…
Le dossier fut enfin déposé le 11 février 1961, mais sous le régime de « l’autorisation » (nettement plus favorable à l’exploitant que le régime de la « concession »). L’administration estime que l’installation dispose de « Droits Fondés en Titre » pour une puissance équivalente reconstituée (plutôt à la faveur de l’exploitant…) et donc que la puissance supplémentaire créée n’est que de 440 kW (puissance totale 970 kW, moins puissance fondée en titre de 530 kW). Par arrêté préfectoral, l’installation sera autorisée le 25 juillet 1962, « pour une durée de 75 ans ».
L’association de défense du site de Salles-la-Source se crée en 1963, sous l’impulsion de J. et A. Coudeville. Le 24 février 1965, un recours est déposé par l’association et les époux Coudeville contre l’arrêté d’autorisation pour « erreur d’appréciation sur le régime réglementaire retenu ».
C’est au tour de la SHVSS de contester la décision. L’affaire ira à nouveau devant le Conseil d’État. Celui-ci statue donc le 18 février 1972, en exigeant de la SHVSS qu’elle dépose une demande de concession, mais sans malheureusement trancher sur ces droits fondés en titre…
Entre temps, le 23 juillet 1971, une rupture de 40 cm de long s’était produite sur la conduite forcée, proche de la grande cascade et de l’actuel Musée du Rouergue, qui conduit le maire et le conseil municipal au retrait des permissions de voirie, pour des raisons de sécurité publique.
Une négociation a alors lieu avec la municipalité, qui conduit à un accord le 20 mai 1972, la commune se déclarant favorable à l’octroi d’une concession et donnant à nouveau des autorisations de voirie. En contrepartie, la SHVSS cède les bâtiments de l’ancienne filature pour un faible montant, accepte le versement d’une redevance annuelle (15 000 F. indexés) en sus des impôts, s’engage à financer la construction d’un dispositif de pompage dans la vasque pour alimenter la cascade à hauteur de 200 l/s, et à le faire fonctionner de Pâques à la Toussaint et de 8 h. au coucher du soleil.
La demande de concession est enfin déposée le 28 août 1973. La conférence administrative de 1977 souligne les réticences ou oppositions de plusieurs services. L’enquête publique a lieu en octobre 1977 et suscite de nombreuses réactions.
Parmi celles-ci, celles de l’ingénieur Henri Varlet, directeur honoraire du gaz et de l’électricité au ministère de l’Industrie. Il dénonce notamment :
– les prétendus droits fondés en titre attribués à l’installation, alors que les deux derniers moulins en état de marche en 1931 ont été détruits à cette date ;
– la confusion entre usine fondée en titre et puissance et débit associés à ces droits ;
– enfin, l’existence de droits à usage de l’eau monnayables, ceux-ci n’existant plus au moment du dépôt de la demande de concession.
La commission d’enquête conclut néanmoins favorablement au projet de décret rédigé par la SHVSS. Le décret signé le 17 mars 1980 attribue une concession à la société pour une durée de 25 ans, sous conditions prévues par un cahier des charges annexé.
Carte postale de Salles-la-Source sans sa célèbre cascade
2) 1980-2005
Il est ainsi à noter que ce décret n’autorise aucune réalisation d’ouvrage, mais prend, en son article 1er, deux décisions :
1/ l’approbation d’une convention du 17 octobre 1979 par laquelle le Ministre de l’industrie concède à la SHVSS, représentée par son gérant, l’aménagement et l’exploitation de la chute de Salles-la-Source, dans les conditions déterminées par un cahier des charges annexé ;
2/ l’approbation du cahier des charges annexé, daté du 13 décembre 1979.
La SHVSS devait ainsi adapter les installations à ce qui avait été écrit dans le cahier des charges, procéder aux bornages et acquisitions de servitudes en vue d’une procédure de réception puis d’acceptation et d’autorisation des ouvrages concrétisées par un acte administratif.
Il s’avère aujourd’hui que :
1/ les conditions de la convention n’ont pas été respectées ;
2/ que l’Administration n’en a tiré aucune conséquence. De fait, on peut donc considérer que cette concession n’a jamais été réellement autorisée par l’autorité administrative.
C’est ainsi que l’on se retrouve aujourd’hui avec deux barrages au lieu d’un, le deuxième faisant 1,31 m. de plus que celui autorisé, que l’on ignore qui est le réel propriétaire de ces installations souterraines, avec 3 turbines au lieu de 2… et que depuis 11 ans que la « concession » est en principe achevée, les biens ne sont pas revenus à l’État, ce dernier se montrant dans l’incapacité de la clôturer.
Le 31 décembre 2005 s’achève donc la (prétendue) « concession » sans que la SHVSS n’ait déposé de demande de poursuite de l’exploitation sous la forme désormais de « l’autorisation » (entre temps, en juillet 1980, le seuil de puissance obligeant à demander une concession a augmenté…).
La conduite forcée qui assèche le Créneau pour conduire l’eau vers l’usine
3) 2005-2017…
Le dossier sera déposé tardivement après la fin de la concession et longtemps après l’expiration des délais légaux, et ne sera reconnu complet… qu’en 2009.
L’enquête publique a lieu en juin-juillet 2010. C’est là que se constitue l’association « Ranimons la cascade ! » qui ne cessera de découvrir avec horreur une multitude de fraudes en tous genres, administratives, comptables et fiscales, se heurtant à nouveau, comme ses prédécesseurs dans les années 60 et 70, à une attitude inqualifiable de la part de l’administration. Celle-ci tentera en effet par tous les moyens de discréditer « Ranimons la cascade ! », de dissimuler toutes sortes de documents afin de faire passer en force le dossier. Mais c’était sans compter sur des citoyens exigeants et respectueux de la démocratie qui dénoncèrent l’escroquerie.
Il serait trop long de raconter ici toutes les fraudes et mensonges de l’Administration depuis 2010. Tout cela fait l’objet des 500 articles parus sur ce site. Tous ces faits mériteront un jour d’être consignés dans un livre afin que nul n’ignore par qui et comment était dirigée notre Administration en ces années-là.
On y racontera notamment :
– comment fut inventé un « délai glissant » pour autoriser la poursuite de l’exploitation au terme de la concession,
– puis comment on retrouva par miracle une « convention secrète » qui affirmait le contraire,
– comment le Secrétaire général de la préfecture inventa une « table ronde » qui n’avait jamais eu lieu,
– comment le Ministère de l’environnement reconnut piteusement, au terme d’un procès, que des courriers cités dans les arrêtés avaient été malheureusement égarés,
– comment la police de l’eau puis le tribunal administratif de Toulouse ont à nouveau reconnu des droits féodaux à une installation de 1930,
– comment le tribunal de commerce de Rodez a fait sortir la SHVSS de redressement judiciaire au vu de comptes manifestement faux,
– comment les services fiscaux n’ont pas vu non plus que ces comptes étaient faux et ont reconnu une « capacité financière » au fraudeur,
– comment l’entreprise a pu dépasser la production autorisée pendant plus de 10 ans sans que le procureur de la république n’y voit malice,
– comment EDF se justifiera devant des fraudes manifestes au CODOA au prétexte que cette entreprise n’a pas à dénoncer la fraude,
– plus récemment, comment le Préfet annonça publiquement la fermeture définitive de l’entreprise, en tout état de causes et dans un délai de 3 mois, avant de se rétracter au motif « qu’il ne pouvait pas agir face à une décision de justice ».
Qu’en conclure ?
C’est sans doute à Elisabeth Borrel, la veuve du juge assassiné à Djibouti en 1985 (affaire toujours non élucidée…), que l’on doit de conclure (lien) :
« Les techniques et moyens développés dans mon affaire, comme d’ailleurs dans votre affaire de Salles-la-Source, sont typiques de ceux que l’État développe lorsqu’il ne veut pas qu’une affaire aboutisse… »
Ainsi, depuis les années 30 jusqu’à aujourd’hui, la Société Hydroélectrique de la Vallée de Salles-la-Source a-t-elle pu exploiter l’électricité illégalement et en toute impunité sans que l’Administration, tantôt complice et tantôt impuissante, ne réussisse à faire respecter les lois.
Elisabeth Borrel à Salles-la-Source – 8 novembre 2013
Depuis plus de 85 ans dure à Salles-la-Source la plus longue fraude de l’histoire de l’hydroélectricité en France. Quand en sortirons-nous ?
[…] Passées les élections présidentielles, « Ranimons la cascade ! » s’adresse publiquement aux candidats aux législatives de la 1ère circonscription de l’Aveyron au sujet de l’usine électrique de Salles-la-Source et de la plus longue fraude de l’histoire de l’hydroélectricité en France. […]