La cascade de Salles-la-Source pour les nuls

Vous n’y comprenez rien à ce fichu dossier de la cascade de Salles-la-Source ? Pas de panique, vous trouverez ci-dessous un petit résumé de l’affaire de la cascade pour ceux qui nous rejoignent…

1/ Qu’est-ce que c’est que cette histoire de cascade ?

Dans la falaise du causse, au-dessus de Salles-la-Source, un barrage souterrain, construit sans autorisation, prélève l’eau en amont de la source du Créneau et la transporte par une conduite forcée jusqu’en bas du village où elle est turbinée. L’installation est gérée par la Société Hydroélectrique de la Vallée de Salles-la-Source (SHVSS). Cela a privé le village de sa cascade emblématique d’où il a tiré son nom et sa célébrité. Celle-ci l’a rendu célèbre dans tout le département et largement au-delà. Il serait même plus juste de dire « cela a privé le village de SES cascades » car le village en compte plusieurs. Les deux cours d’eau qui traversaient le village ont été détournés dans une conduite forcée. Depuis lors, un sentiment d’injustice anime une partie de ses habitants.

2/ Où est situé Salles-la-Source ?

A une quinzaine de kilomètres au nord de Rodez, sur l’axe Rodez-Conques, dit route Soulages qui va du musée Soulages à Rodez à l’abbatiale de Conques avec ses vitraux réalisés par le même Soulages.

Route Soulages : Rodez – Route Salles-la-Source – Conques

3/ Qu’est-ce qu’une conduite forcée ?

C’est un gros tuyau en fonte de 70 cm de diamètre qui conduit l’eau sous pression jusqu’en bas du village. Il est pour partie en surface, pour partie enterré.

4/ Quand cela a-t-il commencé ?

En 1930, c’est un industriel de Salles-la-Source peu scrupuleux qui s’est permis cette construction sans la moindre autorisation. Des moulins qui utilisaient l’eau ont été ruinés. De cet événement, est né un contentieux qui perdure depuis neuf décennies…

5/ Les gens n’ont rien dit ?

On garde trace de protestations mais les responsables de l’usine étaient des notables auxquels il était difficile de s’attaquer. Les gens n’avaient pas encore la conscience de l’intérêt touristique de la cascade ni des aspects juridiques de cette affaire. Enfin le propriétaire embauchait dans sa filature bon nombre d’habitants du village et de surcroît l’arrivée de l’électricité a permis d’éclairer de bonne heure le village. Cela l’assurait du silence d’une partie de la population.

6/ C’était comment avant ?

Au-dessus de la cascade, une longue digue bloquait l’eau de la rivière, la « Chaussée Saleilles », stockant une petite quantité d’eau (aujourd’hui parking municipal). De là était alimentés une série de petits moulins fonctionnant en éclusées (l’un « tant tributaire du précédent) mais avec un débit environ dix fois moins important que celui de la conduite forcée actuelle. On comptait aussi deux petits moulins au pied de la falaise, les moulins Droc. Au fil du temps, des modifications importantes de moulins ont lieu vers 1830, ils sont transformés en une grosse usine (actuel Musée du Rouergue et salle des fêtes) et un débit beaucoup plus important va être toléré pour les faire fonctionner. Un des bras du Créneau allait alors alimenter la rivière de la gorge au loup, à la droite du village lorsqu’on le regarde. Ce bras a été supprimé par les industriels pour capter un maximum d’eau. La plupart des moulins sont aujourd’hui détruits mmmais les connaisseurs peuvent encore les localiser.

Réserve d’eau et chaussée Saleilles, en haut du village, au dessus de la cascade (aujourd’hui parking)

7/ Quand ont commencé les premières actions en Justice ? Pouvez-vous en faire l’Historique ?

Les actions ont été nombreuses durant les 50 premières années. Elles émmanent surtout des meuniers situés en aval du village sur le Créneau qui voient la rivière trop souvent à sec. En effet, l’usine turbine le plus souvent par « éclusées », c’est-à-dire par lâchers d’eau le matin et le soir. Pendant les périodes de remplissage du barrage, la rivière est presque à sec et les moulins inférieurs ne peuvent plus travailler. Une pression continue sur l’Administration qui était particulièrement inerte ont permis d’aboutir à une décision du Conseil d’État en 1946, exigeant de l’entreprise qu’elle « régularise » sa situation par une demande de concession. Malheureusement beaucoup de meuniers en ressortiront ruinés…

Malgré la décision du Conseil d’État, le préfet signe en 1962 une autorisation à la Société Hydroélectrique qui sera contestée par une première association qui se forme à cette époque, l’Association pour la défense du site de Salles-la-Source. Ce nouveau parcours judiciaire se termine par une condamnation de la SHVSS par le Conseil d’État en 1972. Ce dernier demande à nouveau la régularisation de l’installation par une demande de concession.

L’affaire ne rebondira qu’en 2005, à la fin de la concession signée en 1980 pour 25 ans et même quelques années plus tard, compte tenu du silence de l’Administration.

8/ Quand est née l’association « Ranimons la cascade ! ». Qui la compose ?

L’association est née en 2010. La concession est alors terminée depuis 5 ans mais l’installation continue à turbiner… L’Administration ne dit rien. On sait juste que l’entreprise a été durant presque deux ans en redressement judiciaire et qu’elle n’a pas déposé à temps de demande de nouvelle autorisation. En effet la loi a changé et les petites microcentrales ne nécessitent plus de concession. La particularité de la concession est que les biens reviennent à l’État en fin de concession. En 2005, le maire signe même dans le bulletin municipal un billet annonçant la fermeture définitive de la microcentrale.

Lors de l’ouverture d’une enquête publique en juin 2010, les opposants se regroupent en collectif. Voyant que l’Administration n’est pas prête à céder, le collectif se transforme en association en septembre 2010 afin de pouvoir agir en justice. L’association a la particularité de regrouper toutes les personnes qui ont en commun de se révolter contre le fait que le village soit dépouillé de sa cascade, habitants du village, anciens habitants du village, amoureux de ce patrimoine… On y croise des personnes de tous bords politiques, des anciens comme des nouveaux du village. Dans l’autorisation demandée, l’exploitant se propose de turbiner avec une puissance supérieure et en remplaçant la conduite forcée par une autre de 90 cm de diamètre !

3 juillet 2010 : protestation devant la cascade, première action du collectif « Ranimons la cascade ! »

9/ Quel est l’Historique de vos actions ?

L’association se mobilise sur tous les fronts. Des manifestations publiques nombreuses sont organisées, de soirées culturelles ont lieu pour mieux comprendre les enjeux en termes de patrimoine. Des tracts sont réalisés. Des panneaux sont posés en bord de route. Une pétition en ligne reçoit plus de 6000 signatures. Les élus sont sensibilisés mais si tous nous soutiennent, et de tous bords politiques, ils ne sont pas tous très actifs… La municipalité soutient mais préférerait que l’entreprise continue en donnant un peu plus d’eau à la cascade, appâtée par une petite redevance municipale, au demeurant contestée par l’exploitant, et peu importe pour ces représentants de la république que la situation soit illégale !

En décembre 2012, la préfète signe, après deux ans d’hésitation, un arrêté provisoire dit de « sursis à statuer ». Cet arrêté autorise l’usine à turbiner à 40% de son débit, soit la « puissance fondée en titre reconnue » dans le décret de concession. Cet arrêté va être attaqué en Justice par « Ranimons la cascade ! », mais l’association, peut-être trop confiante en la Justice, sera finalement déboutée par la Cour d’Appel de Bordeaux en 2016. Mais l’affaire ne s’arrête pas là…

10/ Qu’ont fait l’État et la préfecture ?

Il y a eu plusieurs phases. Au début, l’Administration était mobilisée pour faire aboutir absolument le projet. Nous avions les plus grandes difficultés à obtenir des informations qui auraient dû l’être de droit. Nous avons reçu une dizaine d’avis favorables de la CADA (Commission d’Accès aux Documents Administratifs) que l’on peut saisir lorsque l’État nous refuse la communication de tel ou tel document réputé « communicable ». Parfois cela n’a pas suffi et nous avons dû, par deux fois, pour ce motif, aller au Tribunal Administratif qui nous a donné raison.

Au fur et à mesure de l’avancée de nos recherches, nous avons senti l’État mal à l’aise et plus hésitant. Début 2015, le préfet demande une inspection d’inspection ministérielle pour venir clarifier le dossier. Cette Mission vient en automne 2015 et rend son rapport au printemps 2016. Elle admet la complexité de la situation et conclut à un « fiasco administratif depuis le commencement ». Elle suggère d’évincer l’exploitant (dont elle a pu constater le comportement procédurier et certaines fraudes dont il s’est rendu coupable). La Municipalité peut choisir entre reprendre l’exploitation hydroélectrique avec un débit un peu plus important pour la cascade ou de laisser la cascade à son débit naturel C’est la seconde solution qui est choisie. En août 2016, le préfet signe les arrêtés de refus d’autorisation et de fin d’exploitation.

La Mission ministérielle (à droite) qui concluera au « fiasco administratif depuis le début »

11/ Vous avez gagné ?

En théorie oui. Nous avons même célébré la victoire. Mais de nouvelles embûches nous attendaient… La SHVSS a aussitôt déposé un référé (procédure en urgence) pour s’opposer à cette fermeture. En décembre 2016, elle gagne au moins sur le fait qu’elle disposerait de « droits fondés en titre » (en théorie, un droit d’usage de l’eau perpétuel pour les propriétaires de moulins qui sont restés à peu près identiques à ce qu’ils étaient avant la révolution Française, ce qui n’est pas le cas ici). Dans notre cas, l’installation est « entièrement nouvelle » mais les juges ne veulent pas revenir sur des décisions de justice anciennes, ni revoir leur interprétation. Le Tribunal Administratif confirme cette décision par une décision de la cour d’appel de Bordeaux de mars 2019. « Ranimons la cascade ! » a fait appel…

Devant le Tribunal Administratif de Toulouse

12/ Qu’est-ce qui a mis le feu aux poudres en 2010 ?

Il y a eu à ce moment un constat unanime que les choses ne pouvaient pas durer comme cela. Disposer d’une richesse unique en France, une cascade magnifique au cœur d’un village de caractère, méritait qu’on la défende. Les choses ne pouvaient plus durer comme cela…

13/ Mais alors, vous êtes pour le nucléaire ?

(rires) Rappelons d’abord que la production de l’usine de Salles-la-Source est insignifiante : 530 kW c’est moins d’un quart d’éolienne et c’est 2600 fois moins que l’usine de Golfech, 1700 fois moins que l’usine hydroélectrique de Montezic… Il n’y a aucun enjeu stratégique autour de ce projet. Notre questionnement a été le suivant : pour quelques kWh, doit-on sacrifier un site inscrit au Patrimoine ? Doit-on détruire la Nature pour mieux la sauver ? Viendrait-il à l’esprit de construire une éolienne face au Mont Saint Michel ou de recouvrir le toit de la Cathédrale de Rodez de panneaux photovoltaïques ? Et de plus doit-on tolérer une installation illégale ?

14/ Mais des microcentrales, il y en a ailleurs. Qu’est-ce que celle-ci a de particulier ?

Dans le même esprit qu’écrit plus haut, nous sommes ici dans la très petite hydraulique. L’Aveyron a une puissance hydroélectrique de 2300 méga Watts soit 5000 fois la puissance de Salles-la-Source… On objectera qu’il n’y a pas de petit projet. On répondra que TOUTES les centrales hydroélectriques ont en commun de détourner un morceau de rivière pour rejeter l’eau un peu plus bas. La singularité de Salles-la-Source est qu’on assèche un ensemble de rivières et cascades qui font la richesse patrimoniale de Salles-la-Source. Pour le profit d’un seul exploitant, et redisons-le, sans la moindre autorisation au départ, c’est tout un paysage qui a été modifié et appauvri.

La cascade comme on l’a longtemps connue

15/ La construction sans autorisation, c’est donc cela que vous dénoncez ? Mais il y a eu régularisation avec le décret de 1980 ?

La construction sans autorisation, c’est le « péché originel », la faute du départ. Avec des personnes ordinaires, cela n’aurait pas été possible. Mais nous avions à faire là à des exploitants qui étaient des notables locaux puissants. Amédée Vidal, le fondateur, était sénateur et chef d’entreprise. Puis il y a eu Georges Guibert, successivement substitut du procureur de la Seine, Directeur de la gendarmerie nationale et de la justice militaire et enfin secrétaire général de l’aérospatiale. Et enfin Etienne Bastide, vice-président du Conseil Général, président de la Chambre de commerce et un des dirigeants d’EDF, au niveau local puis national. Tous ces gens avaient le bras long et les connaissances juridiques pour faire traîner un dossier. Un savoir-faire qui s’est, semble-t-il, conservé.

Mais au fur et à mesure de l’étude du dossier, nous avons découvert peu à peu toutes sortes de fraudes et n’en croyions pas nos yeux.  Des comptes publics archi-faux sans que le Tribunal de Commerce ne dise rien, des abus de biens sociaux (récemment jugés en appel à Montpellier : 600 000 € détournés du compte de l’entreprise vers celui du gérant), un contrat faux signé avec EDF pour 1150 kW alors qu’il n’était autorisé à cette époque à turbiner qu’à 530 kW. Le procureur a ouvert une enquête il y a quatre ans mais n’est pas très diligent…

Enfin on constate une « fraude au CODOA. Ce « Certificat Ouvrant Droit à l’Obligation d’Achat » a pour particularité de donner droit à un tarif double de la vente d’électricité, moyennant des investissements d’amélioration de l’installation dans les 8 ans. Problème N°1 :  la SHVSS bénéficie bien du tarif double mais ne fait pas les investissements. Problème N°2 : l’Etat ne dit rien  et fait traîner…

Ajoutons encore qu’un deuxième barrage souterrain a été construit postérieurement à la concession mais ni l’Administration, ni même la Mission ministérielle d’inspection ne l’ont vu, alors même que nous leur en avons soumis les plans… Cela aurait sans doute bloqué leur projet initial de poursuivre le turbinage en changeant d’exploitant…

Une histoire de fraudes diverses et variées

16/ Que fait l’Etat ? Que fait la préfecture ?

Après le tremblement de terre de la mission d’inspection en 2015-2016 qui aboutit aux arrêtés de refus d’autorisation et de fermeture de l’installation, l’Administration est de nouveau inactive. Le service de Rodez a été dessaisi du dossier pour un responsable régional à Montpellier qui a mille autres dossiers à traiter et l’Administration qui a perdu une partie de ses effectifs ne veut plus passer de temps sur le dossier complexe et chronophage. Le dossier en appel au tribunal Administratif est en principe traité par le ministère de l’Environnement qui est passif et injoignable… l’Etat s’est rendormi. Il ne se rétracte pas mais n’agit plus : la fraude ne le dérange pas.

17/ Y a-t-il beaucoup de visiteurs à la cascade ?

Les visiteurs sont incomparablement plus nombreux que lorsque nous avons commencé. Les visiteurs passaient devant la cascade sans la voir et demandaient en arrivant en haut du village : « où est-elle cette cascade ? ». Notre action, même incomplète n’a pas été vaine. Un débit minimum est désormais restitué dans l’eau de la rivière en amont de la cascade, à partir de la conduite forcée. Il n’est pas rare maintenant à certaines heures l’été de voir plus de 30, voire 50 personnes devant la cascade…

Depuis 2012, il y a donc un « débit réservé » de 70l/s, soit 10% du débit moyen. En fait ce n’est pas un vrai « débit réservé » (débit minimal à maintenir en permanence dans un cours d’eau au droit d’un ouvrage pour sauvegarder les équilibres biologiques et les usages de l’eau en aval). L’Administration a toléré un « débit restitué », c’est-à-dire prélevé au barrage dans la conduite forcée puis réinséré dans la rivière en amont de la cascade, à l’aide d’une vanne. C’est tout-à-fait artificiel mais le visiteur qui passe vite n’y voit que du feu… Pendant une bonne partie de l’année, c’est le débit que nous avons à la cascade, toujours le même puisque artificiel.

Nous avons obtenu (pour l’instant) le refus de l’autorisation et la réduction de la puissance à 40% de ce qu’elle était jusqu’à 2012. De la sorte lorsque le débit dépasse 470l/s (400 l turbiné + le débit réservé), le surplus déborde par le haut du barrage et augmente le débit de la cascade. En période de crue, ce débit peut atteindre 10 000 à 12 000 l/s et la cascade est bouillonnante et impressionnante de force. Il faut savoir que l’installation ne permet alors d’en turbiner que 3 à 4 % (400 l/s) de la sorte que lorsque l’eau est si abondante qu’on pourrait en turbiner un peu sans gêner le spectacle, il est pratiquement impossible de la turbiner… Ces périodes ont lieu en général entre l’automne et le printemps, ce qui n’empêche pas les amateurs avertis de venir la contempler. C’est aux premiers jours de soleil après la pluie qu’elle est la plus appréciée, de préférence l’après-midi lorsque le soleil l’éclaire et se reflète en arc-en-ciel.

Enfin, notre vigilance permet l’application des arrêtés sécheresse qui interdisent le turbinage par éclusées dans ces périodes (avant notre action, l’Administration ne contrôlait pas…)

Dès que le débit de la cascade augmente, les visiteurs affluent…

18/ Quelles sont vos prochaines échéances ?

Outre les procès au pénal qui décrédibilisent le gérant mais ne s’attaquent pas au fond du dossier (et tardent longtemps…), la prochaine grosse échéance attendue est un nouveau jugement de la Cour d’Appel de Bordeaux, probablement en 2023. A moins que d’ici là, la conduite forcée ne fuie à nouveau car celle-ci est un peu à bout de souffle : c’est déjà arrivé en 2007 et cela avait conduit à l’arrêt de la centrale pendant un an… patience et vigilance restent de mise.

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