Usines hydroélectriques d’Aulus les Bains et de Salles-la-Source, d’étranges similitudes…
Connaissez-vous l’extravagante histoire de la microcentrale hydroélectrique d’Aulus les Bains dans l’Ariège ? Quel rapport peut-il bien y avoir avec celle de Salles-la-Source en Aveyron ? Quels enseignements pouvons-nous en tirer ?
Une délégation d’Aulus les Bains était présente le 9 février, à Salles-la-source, à l’invitation de la Mairie de Salles-la-Source. Étaient présents pour la Mairie, Jean-Louis Alibert, le Maire ainsi que ses deux premiers adjoints, Olivia Maillebuau et Louis Droc. Présents également trois responsables de l’association « Ranimons la cascade ! » : Bernard Gauvain, Jean-Pierre Bauguil et Yves Garric.
De gauche à droite : Gilbert Dargegen, Martine Papaïx, Jean-louis Alibert, Olivia Maillebuau, Bernard Gauvain, Yves Garric, Jean-Pierre Bauguil
La délégation invitée était composée de Martine Papaïx, adjointe à la Mairie d’Aulus et membre de l’ADDHA (l’association pour le Développement Durable et Harmonieux d’Aulus) ainsi que son conseiller juridique, Gilbert Dargegen, également représentant de l’association de l’Aude, « avenir d’Alet », qui se bat depuis de longues années pour la préservation du cadre de vie, la défense des intérêts communaux et des services publics.
Un échange informel entre les délégations a permis rapidement à chaque partie de mieux comprendre les véritables enjeux de leurs combats. Si les élus et association d’Aulus souhaitent retrouver les droits sur leur microcentrale tandis qu’à Salles-la-Source, ils veulent fermer définitivement l’usine, ce sont bien les mêmes processus et comportements auxquels ils doivent s’opposer.
L’affaire d’Aulus les Bains (Ariège)
Quoique bien différente de l’affaire de Salles-la-Source, l’affaire d’Aulus (185 habitants) mérite d’être contée, tant des similitudes peuvent s’y retrouver sur le déroulé de la mobilisation comme sur celle du parcours administratif et judiciaire.
La microcentrale d’Aulus turbine l’eau de 2 des 3 torrents de la commune d’Aulus, transmise par 2 conduites forcées qui se rejoignent. Cette centrale date de 1990. Son chiffre d’affaire annuel est de 900 000 € pour un bénéfice moyen de 300 000 €. Elle a été « autorisée » pour une durée de 29 ans.
Usine hydroélectrique d’Aulus les Bains (Photo : DDM)
1/ L’affaire de la microcentrale hydroélectrique d’Aulus les Bains a éclaté au grand jour en 2004, à l’occasion du dépôt d’un permis de construire pour une deuxième centrale hydroélectrique sur le dernier cours d’eau non aménagé par la société exploitante, la SA IGIC. Des habitants s’en sont inquiétés : pourquoi ne pas optimiser la redevance de l’usine existante plutôt que d’en construire une deuxième ?
C’est là que les habitants (certains du moins) se réveillent : tous croyaient que le « terrain d’assiette » de la microcentrale appartenait à la Municipalité. Ils apprennent à cette occasion qu’il a été cédé clandestinement le 16 novembre 2000 ! On parle d’une délibération municipale mais on ne la retrouve pas… En fait la parcelle hébergeant l’usine aurait été vendue pour une bouchée de pain (4500 €), à la société exploitante, gérée à 50 % par… la famille du premier adjoint, François Ané. De cela le Conseil Municipal n’avait pas été informé !
Les autres 50% appartiennent à Jean-Paul Feuillerac, maire de Noé (Haute-Garonne) et ancien président de la communauté de Longages
Monsieur Feuillerac a poursuivi en 2014 pour diffamation les auteurs d’un tract racontant cette vente illégale. Il a perdu en première instance et à nouveau en appel en 2015.
L’exploitation de la centrale était régie par un « contrat de concession » de 29 ans avec la Commune, prévoyant le retour des installations dans le patrimoine communal à l’issue de ce délai. Mais le « terrain d’assiette » de la centrale ayant donc été cédé clandestinement à la société concessionnaire, cela rendait ainsi caduque la perspective de transfert des installations à la Commune…
2/ Une association se constitue donc à Aulus, l’ADDHA qui s’oppose depuis lors avec constance et détermination à cette vente entachée d’illégalité. L’équipe décide de se présenter aux élections municipales de 2008 et entre à la Municipalité. S’en suit un parcours judiciaire très long. Le Tribunal administratif de Toulouse déclare « inexistante » la prétendue « délibération » censée autoriser la cession du terrain de la centrale ; inexistence confirmée par la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux, puis par le Conseil d’Etat.
Afin d’échapper au retour programmé du terrain d’assiette de la centrale dans le patrimoine communal, la SA IGIC dépose en 2010, un nouveau permis de construire pour une nouvelle centrale à quelques mètres de la première, sur un terrain dont la SA est propriétaire.
La commune a dû donc aller en justice pour faire annuler la décision du préfet d’accorder un nouveau permis de construire .
Ce permis sera d’abord suspendu par le Juge des Référés puis annulé
A cette occasion le Conseil d’Etat, par son arrêt du 25 juillet 2013, prononcera une décision appelée à faire jurisprudence : les requérants avaient objecté que le projet de nouvelle centrale intégrait le point de rejet d’eau, acquis par la SA IGIC à la suite de la « délibération » déclarée inexistante.
Le Conseil d’Etat précise ainsi : « Il appartient à l’Administration lorsque se révèle une fraude commise en vue d’obtenir l’application de dispositions de droit public, d’y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d’un acte de droit privé ».
L’Administration a donc le devoir de refuser des autorisations s’il s’avère que le pétitionnaire a préalablement fraudé, et même si cette fraude concerne un acte de droit privé (acquisition immobilière en l’occurrence)
Le juge civil restituera le terrain à la Commune en 2013, mais il faudra attendre l’arrêt de la Cour de cassation du 16 juin 2016 pour que cette restitution soit définitivement confirmée.
Ce retour à la situation de droit antérieure amènera la Commune à faire le calcul des redevances sur le fondement de la « convention de concession » initiale : soit un titre de recettes de près de 500 000 euros
La SA IGIC le conteste devant le Tribunal Administratif et refuse de la payer.
D’autres phénomènes ont eu lieu entretemps tels que la « perte » du permis de construire attaqué et d’autres documents administratifs très importants... dans les services de l’Etat.
Une procédure pour « faux et usage de faux en écriture publique » et prise illégale d’intérêt, est par ailleurs engagée, au pénal, par la municipalité,
Mais, surprise, bien que plusieurs décisions de Justice aient qualifié cette opération de « fraude », l’affaire se conclut en 2015… par un non-lieu.
Il s’agit pour le Juge pénal du comportement « léger et naïf du maire d’une petite commune » ….
Le juge soulevant la prescription prononce également un non-lieu au bénéfice du 1er adjoint, dont la famille détient 50% de la société exploitante
De plus, la procédure contentieuse visant la restitution du droit d’eau au profit de la Commune est toujours en cours.
A ce jour, la SA IGIC continue à exploiter, bien que celle-ci n’ait plus la maîtrise foncière de l’usine…
Extrait du bulletin Municipal d’Aulus – 2015
D’étranges similitudes
Quels points communs peut-on trouver entre une association et une municipalité qui veulent récupérer des droits sur une usine hydroélectrique (Aulus les Bains) et une association et une municipalité qui veulent fermer une usine hydroélectrique (Salles-la-Source) ?
La célèbre Cascade d’Ars, à Aulus pourrait être un point commun, sauf que la microcentrale d’Aulus ne détourne pas son eau.
Cascade d’Ars
C’est en tapant « Manuel Cantos » sur un moteur de recherche que l’association d’Aulus est tombée sur le site de « Ranimons la cascade ! ».
Si à Salles-la-Source, l’ancien président de la Chambre de commerce de Rodez, et ancien président du Tribunal de commerce, est surtout connu pour le curieux jugement du tribunal de commerce permettant la sortie de redressement judiciaire de la SHVSS [voir : « 15 janvier 2008, quand la SHVSS sortait de redressement judiciaire » , d’ailleurs en dépit de ce jugement surprenant, Manuel Cantos vient d’être nommé Conciliateur de Justice auprès de la cour d’appel de Montpellier... ], du côté de l’Ariège, la holding Cantos est bien connue pour y investir dans les énergies renouvelables.
Très impliquée dans l’activité hydroélectrique ariègeoise (Ondulia), de nombreuses usines hydroélectriques, des bureaux d’études, d’Ingénierie , de négoce matériel (Energy Store) sont filiales de la holding Cantos, ou indirectement liées.
L’hydroélectricité semble bien ici une histoire de famille, elle ne génère pas de création d’emplois mais s’organise, pour concentrer ses bénéfices au détriment des communes montagnardes les plus démunies qui par ailleurs gèrent des structures plus lourdes et ce, dans un contexte de désengagement des aides de l’état.
Certaines de ces filiales ariégeoises ont comme dirigeant, ou actionnaires, d’anciens agents de l’Etat pouvant user encore de leur influence.
De même, certains bureaux d’études (Green Power Design, Atezyn, S’pace), ou de Gestion de fonds (Cepece) ont un lien avec la holding Cantos.
Ainsi le réseau d’influence de la holding Cantos, s’organise auprès des collectivités et des pouvoirs décisionnels pour ses propres intérêts et au détriment de l’intérêt général…
Manuel Cantos (Photo Centre-Presse 11/02/2017)
La lenteur administrative jointe à celle de la Justice permettent de faire durer quasi indéfiniment des situations frauduleuses rebaptisées pour l’occasion de « contentieuses ». Ces procédures interminables n’ayant d’autre but que de les épuiser et de tenter de les décourager.
D’autres points communs évidents : L’eau, bien commun, accaparée, légalement ou non par des privés ; le poids des réseaux d’influence dont les participants à la rencontre ont pu échanger sur leurs cartographie ; les dossiers inextricables et compliqués à expliquer, certaines décisions de justice incompréhensibles…
A Salles-la-Source, en dépit d’un rapport interministériel très ferme et de multiples fraudes maintes fois dénoncées, la SHVSS est toujours là et turbine. A Aulus, en dépit de tous les procès gagnés, c’est toujours la SA IGIC qui engrange d’énormes profits …
Extrait du Bulletin Municipal d’Aulus – 2012
Quelques leçons à tirer
– La complémentarité entres associations et municipalités. Chaque instance à son rôle, son utilité et ses prérogatives. L’une ne peut se passer de l’autre.
– Le besoin de l’opinion publique et des échos médiatiques : l’action juridique ne suffit pas. « On n’est pas crédible si on n’a pas les médias derrière nous » L’eau est un bien public. Les collectivités locales doivent garder la main dessus.
– Il y a peu à peu privatisation de l’énergie. Les centrales se concentrent dans des entreprises de plus en plus puissantes.
– La nécessité de mettre la pression en permanence sur les décideurs qui ont tendance à ne considérer leurs interlocuteurs que selon le rapport de force. L’hydroélectricité suscite de nombreuses convoitises. Il y a une mainmise des pouvoirs financiers sur tout ce qui est énergie et en ce moment sur l’énergie verte. Les élus et les citoyens doivent rester vigilants.
Extrait du bulletin Municipal d’Aulus – 2016
Quelques références :
Aulus-le-Bains. Centrale : un combat sans fin (30 avril 2012)
Aulus : après dix ans de lutte, la centrale restituée à la commune (10 février 2015)
Affaire Bort / Feuillerac : jugement définitif ( 27 juillet 2016)
La microcentrale intéresse de nouveaux opérateurs ( 3 décembre 2016)
Pour en savoir plus sur le copinage politique en Ariège et le système « Augustin Bonrepaux », voir sur Mediapart : « Au pays du socialisme congelé » ou bien encore le site Turbulences 09
Comment peut-on, en même temps posséder des usines hydroélectriques ET des bureaux d’étude qui conseillent les collectivités locales et préparent les dossiers pour les enquêtes publiques ? Est-ce qu’il n’y a pas conflit d’intérêt ?
Quel conflit d’intérêt verriez-vous à l’intérieur d’une même entreprise qui posséderait en même temps des usines et des bureaux d’études ?
Bien sûr, un bureau d’étude contacté par une commune qui a besoin d’être épaulée concernant son patrimoine hydroélectrique, sera plus enclin à décourager cette commune à monter une régie, ou en garder la maitrise si les associés de ce bureau d’étude ont par ailleurs des actions dans des sociétés privées de production d’hydroélectricité. C’est une évidence.
Ce bureau d’étude qui apparait comme un allié auprès des collectivités,sans dévoiler son lien avec des sociétés de production d’hydro-électricité agit comme des « cheval de Troyes » au sein des collectivités. C’est en ce sens qu’il y a conflit d’intérêt.
Mais pas seulement, il peut y avoir aussi un conflit d’intérêt lorsque des techniciens, agents de l’état, sont à la foi conseillers auprès des collectivités et actionnaire de sociétés privées. Encore faut-il le savoir. En effet si pour une SARL, il est possible via les greffes de connaitre les actionnaires, en revanche pour une Société anonyme (SA), comme son nom l’indique, ce n’est pas possible.
A ma connaissance, la commune de Salles-la-Source ne possède aucun patrimoine hydroélectrique et n’est donc pas en cause.
Salles-la-Source n’est bien entendu pas en cause mais, semble-t-il, également victime d’un même système administratif, qui s’est montré dans les deux cas de figure au service de quelque « puissant » qui profite de l’énergie hydroélectrique pour faire du profit au mépris des lois. C’est du moins ce que pour Salles-la-Source nous entendons démontrer.
Dénouement favorable pour la commune d’Aulus les bains suite à la décision du tribunal Administratif de Toulouse du 17 octobre 2017 …Mais pas de sanctions pénales pour les contrevenants !
Après 13 ans d’une longue bataille judiciaire, la centrale hydro-électrique d’Aulus- les-Bains a été restituée à la commune. Commune qui se sentait spoliée car les bénéfices de cette centrale étaient versés à une entreprise privée. Une histoire complexe qui touche à sa fin.
Voir le reportage sur France Info / France 3