Martel et les sept sources de Salles

La spéléologie naît en 1888 lorsque Edouard Alfred Martel et son amis Louis Armand (qui a donné son nom à l’aven Armand) explorent, lors de 6 campagnes près de 250 grottes du sud de la France.

C’est à ce titre qu’il viendra plusieurs fois à Salles-la-Source pour y explorer les sources et au Tindoul de la Vayssière où il installera un laboratoire (voir  « Quand Martel explorait le Tindoul de la Vayssière et le delta de Salles-la-Source » )

Le récit de ces explorations sera publié dans l’ouvrage : « les abîmes » qui paraîtra en 1894.

Un chapitre est consacré à Salles-la-Source. Les lignes qui suivent décrivent l’ensemble des sources et l’exploration par Martel du delta souterrain. Elles sont reprise intégralement dans la fameuse « Esquisse du département de l’Aveyron » publiée par Émile Vigarié, secrétaire de l’Office économique du département de l’Aveyron et juge de paix, en 1927, ce qui prouve que cela correspond à la situation exacte du créneau juste avant la construction du barrage souterrain en 1930 qui va tenter de canaliser au mieux la plus grande partie de de l’eau vers la conduite forcée qui alimente la micro-centrale hydroélectrique située tout en bas du village.

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Les sept sources de Salles 

« En arrière du gradin sur lequel repose la partie supérieure du village de Salles, se développe sur trois ou quatre cent mètres de long le front irrégulier et convexe du causse de Concourès : c’est là que jaillissent les sources qui alimentent les cascades. C’est là que se trouvent la aussi des grottes qui jusqu’à ces dernières années, n’avaient pas été explorées. En allant du sud au nord, on y découvre successivement :

1) et 2) – la Gorge aux loups et le trou Marite, deux crevasses de la falaise en parties masquées par d’énormes éboulis qui en rendent l’approche malaisée ; ces deux crevasses ne donnent issue à l’eau qu’après des pluies prolongées.

3) La petite source de la Gâchette qui paraît ne jamais tarir mais dont le débit est faible.

4) Une excavation sans nom dont certaines fissures se transforment en sources lors des orages.

5) La source principale, celle qui ne tarit jamais ; c’est entre ces derniers points, à quelques mètres seulement de la falaise, que se trouve la prise d’eau municipale et le moulin Droc.

6) Une dernière sortie d’eau, entre d’immenses bloc éboulés, impénétrable à l’homme et qui ne fonctionne qu’à la suite des pluies ou des orages violents : c’est la grande fontaine.

7) Enfin à une vingtaine de mètres au dessus de cette dernière issue obstruée, entre elle et la source principale, une ouverture, sorte de fenêtre percée dans la falaise, large de 0.50 m à 1.30 m et haute de 2 m, à peu près inaccessible sans échelle.

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C’est dans la « maîtresse galerie » que sera construit le barrage , puis les barrages souterrains et le lac de retenue.
La sortie de la conduite forcée correspond à l’emplacement de la « grande fontaine »

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L’exploration du réseau souterrain des sources en 1892

De toutes ces issues, seules le trou Marite et la Gorge aux loups avaient été explorées, sur une longueur de 25 à 50 m, mais les visiteurs avaient tous été arrêtés part des flaques d’eau profonde. c’est en escaladant la fenêtre que nous venons de mentionner que M. Gaupillat, en 1892, a pu pénétrer dans le dédale des sources de Salles, expliquer leur fonctionnement et reconnaître que les eaux qui jaillissent au pied de la falaise ne sont autres que celles de la rivière souterraine du Tindoul de la Vayssière.

Cette fenêtre est tout simplement l’orifice d’un aven de 11 m de profondeur, d’une fracture presque parallèle au parement de la falaise. Au pied de cet aven, un couloir en très forte pente, très contourné, entouré de blocs d’éboulis, mène à une galerie large de 6 m, haute de 8 m; à main gauche, elle est fermée par un éboulis de roches, qui ont évidement obstrué la sortie 6, dite grande fontaine, à cause de son imposant aspect quand elle coule ; lorsque l’eau et abondante, elle envahit cette maîtresse galerie qui est l’ancien déversoir naturel, aujourd’hui transformé en trop-plein et elle passe au travers de l’éboulis (cet éboulis doit être beaucoup plus long que ne l’indique notre plan qui est un simple relevé sommaire) par sourdre à la grande fontaine.

Après avoir suivi à main droite cette maîtresse galerie toute encombrée d’argile glissante, de blocs mal équilibrés et de stalagmites brisées, on rejoint l’eau, au bord d’un bassin tellement rempli de rochers, que l’on peut sauter de l’un à l’autre sans se mouiller les pieds.

A droite (au sud), l’eau s’écoule par un petit canal de plus en plus rétréci où on ne peut la suivre : c’est le déversoir normal, le point le plus bas, qui va former la source pérenne principale et la Gâchette.

Nouvel exemple de l’abandon d’un ancien lit souterrain. L’eau a dû livrer en cet endroit une lutte furieuse aux calcaires stratifiés qui l’emprisonnaient, car une expansion, assez large pour mériter le nom de salle s’y rencontre ; le chaos y est complet : d’immenses dalles, détachées des voûtes, se sont écroulées les unes sur les autres. Beaucoup se sont brisées en morceaux, l’argile et la stalagmite en ont cimenté certains fragments, et le tout a formé comme une ruine cyclopéenne monstrueuse ; entre les interstices, on se glisse tant bien que mal, mal plutôt, quand il faut tirer à sa suite le bateau et les paquets nécessaires à l’exploration ; car l’eau, que l’on entrevoit à peine parmi les intervalles des blocs, couvre cependant le sol, et bientôt (à 200m environ de l’entrée), le chaos cesse, la voûte n’est pas effondrée et un vrai lac tranquille , de 40 m de longueur nécessite un premier embarquement ; au bout nouveaux éboulis ; on les gravit ; on tire le bateau, et alors commence un travail indescriptible, qui consiste à se traîner à quatre pattes ou assis, en portant la barque sur la tête ou sur le dos, -à glisser dans la terre glaise, – à se heurter la tête ou les jambes contre la voûte ou les pierres, à tomber dans des trous plains d’eau, à cheminer sur d’étroites corniches qui cassent sous le poids d’un homme et provoquent des chutes et des contusions, et à reprendre par deux fois la navigation sur des flaques de quelques mètres, car le ruisseau est toujours là sous les pieds, traîtreusement dissimulé dans une succession de chausse-trappes. Le passage est  si resserré qu’on les baptise « les Étroits ». La roche est rongée comme à la Poujade et à l’Angle : il est clair que le tuf des cascades de Salles est tout simplement le carbonate de chaux, enlevé aux parois du boyau.

Cet infernal passage a plus de 150 m de long et dure une grande heure. C’est miracle que le bateau de toile ne se crève, ni ne se déchire, dans les chocs sur les pierres pointues et ses raclements sur la roche rugueuse.

Enfin, après avoir laissé à gauche sous une grande dalle, un couloir plein d’eau où l’on est arrêté par l’étroitesse de la fente, on se repose sur une plage d’argile et de sable, au bord d’un lac plus grand que le premier : il mesure 100 m de long sur 5 à 20 m de large ; la limpidité de l’eau (profonde de 1 à 5 m) y est admirable, des blocs de rochers forment des îles, la voûte peu élevée (1 à 10 m) laisse pendre des masse de pierre non écore érodées, espèces de colonnes entre lesquelles on circule en bateau. Puis ces colonnes se rapprochent, les fissures qui les séparent deviennent de plus en plus étroites et la route est bientôt fermée par une sorte de rideau ou de peigne de roche, qui ne descend pas jusqu’au fond ; par dessous l’eau arrive et, en abattant un pan de rideau, on remonterait sans doute plus loin dans la direction du Tindoul ; mais la draperie de roche est fort épaisse, nulle part on ne peut aborder pour préparer les trous de mine : la retraite est longue à opérer parmi les obstacles d’aval, et ce travail, si on l’entreprend jamais, demanderait d’infinies précautions. Malgré l’absence de stalactites et de hauteurs, c’est un imposant spectacle que ce réservoir des sources de Salles, calme et sans courant, d’autant plus agréable à rencontrer qu’on en connaît l’origine et qu’il livre ainsi la suite des secrets du Tindoul.

Deux fois, Gaupillat est allé (avec Armand et M Léon Raynal  de Salles-la-Source) jusqu’au bout du lac des draperies, à 500 m de l’entrée ; ensemble nous y sommes tous retournés avec R. Pons le 10 juillet 1894. toujours nous avons vu les dents du peigne immergées, malgré le peu de hauteur des eaux à Salles ; et surtout nous avons tous été d’accord pour reconnaître que le parcours entre les deux lacs, est le plus pénible de tous nos rampages souterrains.

L’absence à peu près totale de courant jusqu’à quelques mètres seulement du déversoir explique un fait resté longtemps incompréhensible : la non-réapparition, aux sources de Salles, des substances colorantes jetées dans la rivière du Tindoul.

Là, en juillet 1892, Gaupillat jeta une tourie entière de ponceau d’aniline dissous dans l’acide sulfurique ; aucune coloration ne se manifesta à la source ; rien de plus naturel puisque sur une longueur de 400 m environ, l’horizontalité du réservoir de Salles est presque absolue et que des éboulis en encombrent plus du tiers ; le mouvement de l’eau ne s’y propage qu’avec une lenteur extrême, le petitesse de l’orifice et la surface, relativement grande, du réservoir empêchant l’écoulement rapide, il s’ensuit que, faute d’agitation, et de transport suffisamment accéléré, le mélange intime de la coloration et de l’eau ne peut se maintenir jusqu’à la sortie au jour ; la substance colorante a le temps de se déposer dans quelque bas-fond tranquille. -Sans oublier que sur sa route, depuis le Tindoul, elle passe peut-être à travers une telle quantité d’éboulis ou de minces crevasses, qu’elle finit par se filtrer entièrement.

En résumé, et comme à la fontaine de l’Écluse, (qui est avec Salles, l’œil de la Dou et la Rjeka , notre plus lointaine pénétration dans une source), c’est par un ancien trop-plein (l’aven) que nous avons réussi à atteindre ici le réservoir même d’une source pérenne. Ce n’est pas tout.

Le réseau du trou Marite et de la gorge aux loups

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Le trou Marite est pénétrable jusqu’à 25 m de distance, puis il se resserre au diamètre d’un renard : laissons une bougie à ce point et rendons-nous à la crevasse voisine, la gorge aux loups. A maintes reprises, des habitants de salles et notamment Léon Raynal, s’y étaient aventurés, arrêtés tous par une flaque d’eau à une distance de 50 m (et qu’ils plaçaient à 200 m).

Voici ce qu’a vu Gaupillat, le jour (10 juillet 1892) où avec M. Mahieu, ingénieur des Ponts et Chaussées à Rodez, et Raynal, il a effectué la première exploration complète.

Le trou Marite est pénétrable sur une longueur de 25 m puis le couloir se rétrécit au point qu’un renard aurait de la peine à y passer. Cette ouverture est cependant en communication avec la gorge aux loups.

En entrant dans la grotte on commence par monter 3 ou 4 m sur un parcours de 15 m environ puis on redescend, brusquement d’abord puis lentement ensuite, pour se maintenir près de l’horizontale. L’existence de ce seuil, de ce dos d’âne, près de l’entrée, explique déjà pourquoi la gorge aux loups est de toutes les percées de Salles-la-Source, celle qui coule le moins souvent : c’est qu’il faut que l’eau  interne s’élève au point le plus haut, pour se déverser au dehors, et avant d’y atteindre, elle a pu alimenter les autres exutoires qui sont tous plus bas placés.

Ainsi, plus nous progressons dans nos investigations, plus nous reconnaissons que la discussion raisonnée de la topographie des cavernes jette un grand jour sur le fonctionnement, jusqu’à présent si obscur des sources périodiques ou intermittentes.

Après un passage extrêmement resserré (roche percée), le bateau d’Osgood, permet de franchir cette première flaque où se sont sont arrêtés tous les précédents visiteurs. A son extrémité, un couloir s’ouvre à gauche. Il est court te étroit mais au point d’arrêt, on aperçoit avec satisfaction la bougie laissée au bout du trou Marite. Vu les différences de niveau, cela établit bien que l’ouverture de la Gorge aux loups est le trop-plein du dernier flux. La deuxième et la troisième flaque se succèdent. Ces lacs sont des laisses du dernier flux, dans des dépressions, comme à la grotte Deloly, au Tindoul etc. etc. Les phénomènes commencent à se généraliser de grotte en grotte ; ils se reproduisent identiques, quand les circonstances sont les mêmes, et les lois de l’hydrologie souterraine finissent par se dégager assez nettement.

Au quatrième lac, carrefour ; à gauche, petite branche, en partie occupée par l’eau, longue de 75 m et terminée par un siphon à voûte mouillante. ; sans doute un trop-plein désamorcé de la source pérenne. -A droite un mur de 3 m à gravir, qui doit faire cascade quand l’eau arrive de l’amont, encore inconnu. L’échelle en fer  pliante trouve ici son application, et le bateau même est contraint de l’escalader. Des milliers de chauves-souris sont accrochée au plafond. En leur vol effarouché, elle soufflent la moitié des bougies ; en avant : voici que les difficultés deviennent égales àcelles de la branche principale, argile gluante qui cherche à arracher les chaussures comme un tire-bottes, stalactites qui cassent dans la main, corniches rompues sous les pieds, pierres rongées qui déchirent les doigts, grands écarts d’une paroi à l’autre, heurts violents du crâne et des membres;le plaisir est aussi complet que dans les Étroits ; et cette exquise flânerie s’entrecoupe de cinq nouvelles flaques, dont chacune est le théâtre d’un bain involontaire plus ou moins complet.

La dixième flaque est plus grande (30 à 35 m de longueur) ; en haut, la roche arrive si près de l’eau qu’il faut se coucher dans le bateau, et le faire avancer avec le dos dans un mouvement de tiroir ; à peine relevée, la voûte s’arrondit, se ferme, mouille de toutes parts ; dans un angle, à gauche et sous l’eau, le magnésium montre la gueule nettement circulaire du siphon. Il ne peut venir que de la grande branche, soit par le fond d’un des lacs, soit par une galerie dont les éboulements ont obstrué l’orifice. Le développement des ramifications de la gorge aux loups (Trou Marite compris) est de 500 m ce qui donne 1 km de développement au  total.

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Éléments de compréhension

Cette pénétration dans le falaises de Salles-la-Source est extrêmement instructive. On y voit le phénomène complémentaire du Mas-Raynal,  la subdivision multiple, le branchement complexe, non plus à l’origine mais au débouché d’une rivière intérieure.

Ce branchement affecte la forme d’un delta, parce que le terrain est à peu près horizontal ; avant de voir le jour, le courant s’épanouit en éventail, dans 4 ou 5 galeries de grottes, ouvertes à différents niveaux ; par la plus basse de ces ouvertures, coule toute l’année, une fontaine pérenne, au point d’élection le moins élevé. Les autres servent de trop-pleins et n’entrent en jeu qu’au fur et à mesure que l’eau intérieure s’élève à leur niveau ; Gaupillat a pris sur le fait ce mécanisme : après le gros orage du 29 septembre, toutes les sources coulaient sauf la gorge aux loups, et en redescendant par l’aven de la fenêtre, il a pu voir le courant couler dans la maîtresse galerie, et traverser l’éboulis pour ressortir à la grande fontaine. Aucune expérience ne saurait être plus convaincante. En juillet et en septembre 1893, l’état des eaux était le même  qu’un an plutôt à pareilles époques.

L’originalité, la pérennité, l’intermittence et les variations de débit des différentes fontaines de Salles-la-Source, sont donc maintenant connues et expliquées.

Remarquons bien une fois de plus, que les réservoirs de ces fontaines ne sont pas des nappes d’eau étendues dans tous les sens, mais des galeries allongées et étroites ; la hauteur est généralement faible, le vide n’est pas immense comme le supposaient certains auteurs ; il n’y a point de coupoles énormes ; partout la longueur l’emporte sur la largeur ; les eaux souterraines occupent plutôt des conduites que des bassins, et les vastes dômes d’effondrement ne sont pas la règle.

Un certain nombre de sources et de grottes étaient distribuées sur le pourtour du causse de Concourès, l’opinion tendait à s’établir depuis la découverte de la rivière du Tindoul, que cette rivière rayonnait vers divers points du causse ;

La direction du courant d’une parte, d’autre part la présence de deux grandes failles qui coupent tout le plateau de l’est à l’ouest, de chaque côté du Tindoul, (celle de Sébazac au sud et celle de Cadayrac au nord), rendent cette hypothèse invraisemblable ; et nous sommes convaincus que le courant souterrain du Tindoul est le grand collecteur qui draine les eaux pluviales de la partie du causse située entre ces deux failles. Les innombrables fissures et coulées d’argile qu’on observe sur les parois du canal intérieur, lui amènent des affluents, après les pluies, au moyen des cassures du sol. »

E. Martel 1894 – les abîmes

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 Les connaissances actuelles

Les spéléologues on t depuis 1994 exploré à de multiples reprises le delta de salles-la-source et notamment de nombreux siphons. Ci-dessous un plan du delta de salles-la-source dressé par André Espinasse delta-espinasse-1999

 Lire aussi sur ce site :  « Quand Martel explorait le Tindoul de la Vayssière et le delta de Salles-la-Source » 

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