Le long combat pour la cascade de Salles-la-Source

C’est sous ce titre que le MAN Aveyron  (Mouvement pour une Alternative Non-violente) a publié ce jour sur son site un article sur la lutte de « Ranimons la cascade ! », à l’occasion de la deuxième marche de Salles-la-Source à Rodez qui sera organisée le 28 juin 2014. Il peut servir d’introduction pour ceux qui nous rejoignent et veulent mieux comprendre les enjeux de ce combat contre une microcentrale :

Le long combat pour la cascade de Salles-la-Source

Le 28 juin 2014, l’association « Ranimons la cascade ! » de Salles-la-Source organise une deuxième marche de Salles-la-Source à Rodez (15 km) pour marquer le début de la cinquième année de son long combat pour la réhabilitation du site. Dans cette lutte bien médiatisée, qui dure et rencontre une résistance exceptionnelle de l’Administration, prête à tout pour faire passer en force le dossier, plusieurs membres du MAN Aveyron se sont, à titre personnel, bien impliqués. Le président, Bernard Gauvain, nous en retrace le récit :

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Un très vieux conflit

« Le magnifique village de Salles-la-Source est célèbre par la cascade qui jaillit au milieu du village entre les maisons. Elle lui a donné son nom. Les habitants ainsi y sont très attachés. Mais celle-ci fait l’objet d’un très vieux conflit avec les gérants d’une microcentrale hydroélectrique, construite en toute illégalité… dans les années 1930.
Dans ces années-là, il avait fallu ferrailler 50 ans avec l’Administration, malgré plusieurs jugements du Tribunal Administratif et du Conseil d’Etat, pour qu’une autorisation règlementaire soit donnée finalement en 1980, sous forme d’un contrat de concession avec l’Etat pour 25 ans qui a pris fin, le 31 décembre 2005.

Cependant, passée cette échéance, l’entreprise a continué à turbiner, réduisant le plus souvent la célèbre cascade, à un filet d’eau que ne reconnaissaient pas tous ceux qui venaient la voir attirés par les belles images des dépliants touristiques. Le gérant fait de son côté multiplie les procès. Il en perd plusieurs. Cela le mènera à une situation de redressement judiciaire dont il sortira « miraculeusement ».

Alors que l’Administration affirme, à plusieurs reprises, qu’il n’a fait aucune démarche de renouvellement dans les temps règlementaires, logiquement, l’exploitation aurait dû cesser, mais continue néanmoins. En juin 2010, est ouverte une enquête publique qui annonce que l’exploitation va se poursuivre, et même se renforcer, cette fois-ci sous le régime de l’autorisation préfectorale…

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Le front du refus

C’est là qu’entre en scène l’équipe de « Ranimons la cascade ! », au départ bien modeste : 3 puis 4 personnes sonnent l’alerte et invitent la population locale à une réunion publique quelques jours plus tard. Celle-ci fait salle comble et un collectif se crée, fort d’un puissant refus d’un projet refusé de tous. Un attachement très fort à ce site s’exprime et une volonté commune d’en finir avec les passe-droits du passé. La médiatisation commence, les soutiens pleuvent et la participation à l’enquête publique est massive.

Sur 380 avis collectés, individuels ou collectifs, 379 s’opposent à ce projet et demande la mise en valeur du site et de la cascade, puissants leviers de développement local. Des arguments solides sont rédigés. Un rassemblement d’opposants regroupe plusieurs centaine de personnes dans ce village de moins de 300 habitants.

Le commissaire-enquêteur, qui semble très compréhensif donne néanmoins… un avis favorable. C’est là que le collectif commence à comprendre que le combat n’est pas gagné et qu’il va falloir durer.

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Structuration associative

Le collectif se transforme alors en association. Une sorte d’union sacrée rassemble des personnes de bords politiques parfois fort différents. Chacun apporte ses compétences : un avocat, ses connaissance en droit ; un journaliste, son réseau ; des ingénieurs, aident à explorer un champ nouveau pour la plupart celui de l’hydraulique et de ses réglementations complexes ; un ancien responsable de la DDE et d’autres fonctionnaires apportent leur connaissance du monde administratif et des maquis réglementaires ; des anciens du village retrouvent de précieux documents très anciens qui aident à construire l’argumentaire ; d’autres enfin aident à la logistique : collecte des cotisations, rédaction de tracts, organisation de rassemblements, de manifestations, de soirées festives ou historiques : d’autres enfin deviennent correspondants locaux de presse afin d’aider à relayer dans la presse régionale. La dynamique est en marche et les soutiens très nombreux. On arrive vite à 250 adhérents.

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Un dossier qui dérange

Parallèlement, une équipe travaille sur le dossier qui peu à peu se construit et… révèle d’énormes failles. Cette mobilisation dérange et l’Administration gênée va bloquer et interdire l’accès de l’association à toutes les commissions chargées d’en débattre : Commission des Sites qui sera réunie trois fois ou encore le CODERST qui devra se réunir deux fois sur ce dossier (la deuxième fois l’avis favorable sera voté par 8 voix contre 5, 7 voix parmi les 8 venant de l’Administration qui a eu l’ordre de voter en bloc pour le projet… qu’elle a elle-même instruit).

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Le soutien des élus

Dès le début, les élus sont sollicités et répondent présents. les adhérents étant de tous bords, les élus qui soutiennent sont aussi de tous bords ! Certains sont très actifs, se mouillent, cherchent à comprendre des dossiers malgré tout assez complexes, d’autres font le service minimum… Cette pression sert notamment à gagner du temps ; le ministère de l’environnement est sollicité plusieurs fois ce qui retarde la décision qui, parole de préfecture, devait être prise dans les six mois ! Quatre ans après, elle attend encore…

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L’Administration arcboutée sur ses secrets

Mois après mois, l’association analyse en profondeur la demande d’autorisation et s’étonne de nombreux points qui y sont passés sous silence. Elle demande à l’Administration des pièces manquantes, des courriers et rapports ici et là évoqués. Elle obtient de la sorte quelques documents très intéressants pour la construction d’un contentieux juridique. mais sur plus d’un point l’Administration refuse de répondre… Par 5 fois, il faudra saisir la CADA, Commission d’Accès aux Documents Administratifs, pour obtenir son soutien (La loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 reconnaît à toute personne le droit d’obtenir communication des documents détenus dans le cadre de sa mission de service public par une administration, quels que soient leur forme ou leur support).

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Premiers recours devant le tribunal Administratif

Mais plusieurs fois, cela ne suffit pas. C’est ainsi que seront intentés deux procès contre l’Administration pour obtenir les précieux documents :

– le premier recours date aujourd’hui de deux ans. Il a abouti à une première victoire, le tribunal condamnant l’Etat à verser 1000 € à « Ranimons la cascade ! » et à fournir les deux documents…dans un délai de deux mois ; Plus de 6 mois et demi plus tard, le jugement n’était toujours pas exécuté, (rappelons que l’application des décisions de justice est la base de la démocratie la garantie que le droit a bien le dernier mot !), ce que l’association ne manquera pas de médiatiser.

– le deuxième recours demande l’accès au dossier de fin de concession… de 2003 qui, maintes fois promis, nous est toujours refusé.

Lors d’une conférence organisée à salles-la-source, Elisabeth Borrel, juge elle-même et épouse du juge Borrel assassiné à Djibouti dans des circonstances toujours non élucidée déclarera : « Les techniques et moyens développés dans cette affaire (comme d’ailleurs dans votre affaire de Salles-la-Source) sont typiques de ceux que l’État développe lorsqu’il ne veut pas qu’une affaire aboutisse… ».

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Une convention secrète

On ne peut raconter ici tous les rebondissements d’une « affaire » sur laquelle on pourrait écrire un roman. Un des faits les plus stupéfiants est la publication, en décembre 2012 d’une convention secrète signée en 2006 entre l’Etat et le propriétaire de la microcentrale modifiant les conditions de la fin de la concession dans un sens très favorable au gérant. Seul problème : on ne peut modifier une concession que dans le même cadre que celui dans lequel elle a été signée (parallélisme des formes) et en aucun cas une fois celle-ci achevée. Plus grave : ce document, qui aurait dû être public, a été volontairement dissimulé à tous, y compris les élus, et ce pendant 6 ans ! Conséquence : l’entreprise a pu turbiner illégalement pendant ce temps avec la bénédiction de la Préfecture…

Venu témoigner à Salles-la-source également, Pierre Carles l’enfant terrible des médias, interdit de télévision pour avoir dénoncé la collusion entre puissants sur les plateaux télévisé nous a éclairé également : « Le point commun que révèlent ces deux histoires est la mise à jour des connivences, de la familiarité, de la complicité naturelle, des relations quasi « incestueuses » dans le petit monde des hauts responsables, tous issus des mêmes écoles et du même milieu, chez qui on ne brise pas le pacte, on ne dénonce pas les collègues par « solidarité professionnelle » ou par réflexe corporatiste ».

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Une mobilisation incessante

Tout au long des quatre années, pas un mois ne se passe sans que quelques action ne soit imaginée. L’imagination est au pouvoir ! La pédagogie est nécessaire car le dossier est très complexe. les articles de presse se succèdent (il y en a eu déjà plus de 300). Les rassemblement populaires succèdent aux manifestations de rue : il y en a pour tous les goûts et toutes les sensibilités.

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Deux autres recours sur le fond

En juin 2013, l’association attaque sur le fond le dossier. Epaulés par Jean-Marc maillot, avocat à Montpellier :

– Ils attaquent un arrêté provisoire (de « sursis à statuer ») qui autorise à turbiner, certes dans des conditions moindres, mais imprécises, et ce dans l’attente d’une décision de justice.

– Ils mettent également en demeure la préfète d’arrêter l’exploitation illégale. Sans réponse de celle-ci dans un délai de deux mois, cette non-réponse, devenue décision préfectorale, est aussi attaquée en Justice. près d’un an plus tard, la Préfecture (embarrassée ?) n’a pas encore produit de mémoire en défense.


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Un problème de servitude

La concession terminée, une servitude de passage devient nécessaire pour la conduite forcée qui traverse le village, souvent de manière souterraine. Un particulier découvre qu’il n’y a pas d’autorisation écrite de passage sous son terrain et s’oppose à celui-ci. La Police de l’eau n’en a cure. Le propriétaire engage alors des démarche en justice dès septembre 2010. L’exploitant fait durer les procédures; En novembre 2013, le TGI de Rodez le condamne (d’où l’arrêté provisoire) mais l’entreprise fait appel. 19 mois plus tard, on s’étonne que la date du procès en appel ne soit pas encore annoncée…

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Graves soupçons de fraude fiscale

L’entreprise est contrainte de déposer un bilan simplifié chaque année sur Internet? L’association y découvre de précieux renseignements. Mais surtout elle constate que tous les bilans sont faux, et pas à la marge. Un ancien cadre de banque se met à les relire avec rigueur et présente ses conclusions : ces comptes s’avèrent inexacts, souvent grossièrement et de ce fait soulèvent de graves interrogations. « En 40 ans de carrière, je n’ai jamais vu cela », nous confiera-t-il. L’Administration est informée à plusieurs reprises mais ne bouge pas.

Ceci permet de soulever une autre question : comment, avec ces compte qui sont tous faux, l’entreprise a-t-elle pu « miraculeusement » sortir de redressement judiciaire alors qu’elle a des dettes et présente des bilans régulièrement déficitaires ?

Un élément d’explication sera donné lors des mémoires en défense de la société hydroélectrique, attaquée par la Municipalité de Salles-la-Source, pour refus de payer depuis 2006 une redevance municipale de passage pour la conduite forcée sous les voies communales. Dans l’un de ceux-ci, le gérant, Jean-Gérard Guibert, déclare ne pas avoir les moyens de payer celle-ci et preuve à l’appui envoie la copie des relevés bancaire de la société hydroélectrique. Ceux-ci montrent que dès qu’un virement d’EDF arrive sur le compte de l’entreprise, il est versé dès le lendemain sur le compte personnel du gérant ! et ce pour la somme de 113 990 € en 2012 ! ! !

Les services fiscaux ne bougeant pas, « Ranimons la cascade ! » a saisi le Procureur de  la république sur ces trois points en septembre 2013. L’enquête, nous dit-on, est  en cours.

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L’humour malgré tout

Pédagogie et humour ont été au rendez-vous tout au long de ces quatre année : humour qui explique un dossier parfois compliqué, humour qui met les rieurs du côté de l’association et remobilise le public, humour enfin qui détend l’atmosphère dans les moments de tension avec l’Administration.

Ainsi de la « vente aux enchères de la cascade », de fameux poissons d’avril, de sketches divers ou de dessins humoristique : le dernier en date a été spécialement fait par le dessinateur du personnage d’Aimé Lacapelle, qui n’est autre que Jean-Yves Ferri, grand nom de la BD qui a été choisi récemment comme scénariste du nouvel Astérix !

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Quatre ans de combat

On l’aura compris, en quatre ans de combat, les membres de « Ranimons la cascade ! » ont découvert de surprenants comportements de l’Administration dans un domaine pourtant très réglementé, où celle-ci, de la base au sommet, s’est de manière constante placée du côté du fraudeur et contre les citoyens, du côté d’un entrepreneur privé contre les défenseurs d’un intérêt collectif.

Visiblement embarrassés par la résistance qui s’est organisée, l’administration joue la montre et fait durer dans l’espoir peut-être que se produise une démobilisation. Pour le moment, c’est tout le contraire : c’est une colère -toute non-violente !- qui s’exprime.

Elle le fera une nouvelle fois le 28 juin en marchant de Salles-la-Source à Rodez où sont conviés associations et élus qui les soutiennent pour une prise de parole publique. »

Bernard Gauvain

 

 

 

 

 

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