La petite entreprise qui ne rapportait aucun bénéfice
La Société Hydroélectrique de la vallée de Salles-la-Source a cela de particulier qu’elle ne génère aucun bénéfice. Du moins si l’on en croit les comptes qu’elle publie…
De quoi s’étonner lorsque l’on sait à quel point son gérant, Jean-Gérard Guibert s’accroche à elle et utilise force avocats pour tenter de sauver sa « petite affaire ».
Voyons plutôt, sur la période 2002-2012, ce que disent les rapports de gestion publiés au greffe du Tribunal de commerce de Rodez :
– 2002 : le chiffre d’affaire réalisé est de 168 444 € et affiche une diminution de 3 % par rapport à l’année précédente. Ceci s’expliquerait par l’absence de la troisième génératrice et une répartition malheureuse de la pluviométrie. « Le résultat de l’exercice est déficitaire et aucune distribution ne peut donc être envisagée ».
– 2003 : le chiffre d’affaire s’élève à 162 356 € et affiche une diminution de près de 4 % par rapport à 2002. Le résultat comptable est, au contraire de l’année précédente, bénéficiaire. « Ce résultat est, au plan fiscal, absorbé par un déficit reportable. Aucune distribution ne peut donc être envisagée ».
– 2004 : le chiffre d’affaire s’élève à 186 368 €, soit une augmentation de 13 %. Cela résulte de l’absence de dysfonctionnement des trois génératrices et d’une pluviométrie plus importante lors de la tarification bonifiée. Le résultat comptable est de 17 396 € (contre 27 489 € en 2003). « Ce résultat est, au plan fiscal, absorbé par un déficit reportable. Aucune distribution ne peut donc être envisagée ».
– 2005 : le chiffre d’affaire s’est élevé à 163 008 €, soit une diminution de près de 15 % par rapport à 2004. « Cela résulte d’une faible pluviométrie ». Le résultat au plan comptable est bénéficiaire (1 544 €). Au plan fiscal, il est « absorbé par le déficit reportable. Aucune distribution ne peut donc être envisagée ».
– 2006 : le chiffre d’affaire est de 201 870 €, en augmentation de 20% par rapport à 2005. « Cela résulte d’une meilleure pluviométrie ». Le résultat comptable et fiscal est de – 208 886 €.
– 2007 : le chiffre d’affaire est de 226 517 €. Il est en augmentation résultant d’une pluviométrie plus abondante et plus constante. « Le résultat comptable est, en raison du passif exigible, déficitaire (- 42 244 €). Le résultat est, au plan fiscal, également déficitaire » affirme la Société dans son rapport, sans qu’on comprenne bien ce qu’elle a voulu dire (pour ceux qui ont fait un peu de compta : qu’est-ce qu’un passif exigible a à voir avec un résultat d’exploitation ??).
– 2008 : Le chiffre d’affaire est de 260 932 €, en augmentation « résultant d’une pluviométrie plus abondante et plus constante surtout dans les premiers et derniers mois de l’année ». « Le résultat est au plan fiscal, ramené à zéro à raison de l’absorption d’une partie du déficit dégagé l’an dernier. Aucune distribution n’est donc possible »
– 2009 : le chiffre d’affaire s’est élevé à 205 537 € affichant « une baisse de pluviométrie surtout dans les premiers et derniers mois de l’année ». « Le résultat est, au plan comptable, bénéficiaire à hauteur de 19 450 € ; le résultat est au plan fiscal, ramené à zéro à raison de l’absorption d’une partie de déficit non consommé l’an dernier ».
– 2010 : le chiffre d’affaire s’est élevé à 212 896 €, en légère hausse, suite à une pluviométrie un peu plus abondante. « Le résultat est, au plan comptable, bénéficiaire à hauteur de 2918 € à raison de l’absorption du déficit non consommé l’an dernier ». « A raison de la faiblesse de son niveau, nous décidons de ne procéder à aucune distribution ».
– 2011 : le chiffre d’affaire s’est élevé à 160 228 €, affichant une forte baisse résultant d’une pluviométrie très faible et même nulle. Le résultat de cet exercice est, au plan comptable et fiscal, bénéficiaire à hauteur de 1793 €. « A raison de la faiblesse de son niveau, nous décidons de ne procéder à aucune distribution ».
– 2012 : le chiffre d’affaire s’est élevé à 137 960 €, affichant une forte baisse résultant d’une pluviométrie très faible et même nulle. « Le résultat de cet exercice est, au plan comptable et fiscal, déficitaire à hauteur de 1992 € ».
Quelques clés pour comprendre
Peut-on croire réellement qu’une installation hydroélectrique amortie depuis belle lurette ne rapporte rien et qu’une entreprise travaille sans revenu durant tant d’années et se batte avec une telle énergie pour pouvoir continuer à ne pas gagner d’argent ?
1/ des comptes « inexacts »
Nous avons donc procédé, avec l’aide d’un spécialiste, à une analyse d’ensemble des comptes connus de l’entreprise. Celle-ci a été publiée sur ce site : «des comptes très spéciaux ». Elle note : « à l’observation, dès le premier abord, tous les documents comptables présentés par la Société s’avèrent inexacts, souvent grossièrement ». Puis elle détaille « une masse d’irrégularités et d’anomalies en tout genre » et des « irrégularités juridiques variées ».
Elle s’étonne que celles-ci n’aient interpelé personne, ni les services du greffe du tribunal de commerce, ni la DDFIP qui a été consultée en 2010 pour donner un avis sur la capacité économique de l’entreprise, ni le tribunal de commerce lui-même qui admet la SHVSS « au bénéfice du règlement judiciaire » le 05/09/2006, et l’en fait sortir le 15/01/2008, sans signaler dans ses jugements la moindre anomalie…
« Nous ne commenterons pas les montants de charges, ajoute l’analyste, qui font le yoyo d’un exercice à l’autre, dont on ne sait rien, et qui semblent globalement bien importantes pour une petite micro-centrale. Idem pour les charges de personnel, qui semblent assez déconnectées de l’effectif… »
La note conclut : « soit les Rapports de l’Assemblée Générale sont faux et la société a procédé à des distributions non déclarées…. soit la comptabilité est fausse … soit les deux ! »
2/ Que fait le procureur ?
Dès 2012, la Préfecture de l’Aveyron et la Préfecture de région ont été alertées de ces nombreuses anomalies comptables, de même que la DDT, la DDFIP, la DREAL, les ministères de l’environnement et de l’économie et des finances, ainsi que les cabinets du Premier ministre et de la présidence de la République. En vain.
Le procureur de la république de l’Aveyron a donc été saisi de tout cela par nos soins en septembre 2013. Une enquête de gendarmerie a été ouverte en décembre 2013.
Suite à de nombreuses relances de notre part, nous avons appris en janvier 2014 que l’enquête était en cours, puis, par lettre du 30 janvier 2015 postée le 3 avril 2015, le procureur nous apprend que celle-ci se poursuit au SRPJ de Toulouse.
Par courrier du 18 décembre 2015, il nous informe que « concernant l’enquête pour abus de biens sociaux et présentation de comptes inexacts confiée au SRPJ de Toulouse, les dernières investigations ont été accomplies en novembre 2015 et le dossier devrait bientôt être clôturé et retourné au Parquet ».
Enfin, par lettre reçue le 12 septembre 2016, nous apprenons que le dossier était (enfin) revenu et que « des poursuites allaient être engagées ».
Relancé le 4 juillet 2017 pour savoir si une audience était prévue, le procureur n’a pas répondu à ce jour…
3/ Absence de dépôts des comptes auprès du tribunal de commerce
Curieusement, à partir du moment où la question des comptes de la SHVSS a été posée publiquement, les comptes ne furent plus déposés ou avec un très grand retard.
Les comptes de 2013 n’ont jamais été déposés auprès du Tribunal de commerce (date limite de dépôt le 31 juillet 2014), comme nous l’a d’ailleurs confirmé le greffe de ce tribunal.
Les comptes de 2014 et de 2015 ont été très tardivement déposés, suite à nos nombreuses réclamations, mais avec la nouvelle clause de confidentialité. Il ne nous est donc plus possible de les consulter. Dans les faits, cette nouvelle clause, introduite par le gouvernement Hollande, ne permet plus aux citoyens de détecter des fraudes…
A propos des comptes de 2013 et 2014, le procureur de la République nous a répondu le 30 janvier 2015 que « la société sera poursuivie par le parquet de Rodez si elle ne régularise pas cette situation », en ajoutant « je souligne toutefois que, contrairement à ce qu’indique votre courrier, la consultation du site Infogreffe montre que seuls sont manquants les comptes du dernier exercice » [2014].
Le 18 décembre 2015, le procureur confirme que « la Société Hydroélectrique est désormais totalement en règle. Il n’y a donc pas matière à poursuivre cette infraction ».
Nous renvoyons donc le lecteur au site Infogreffe qui signale toujours l’absence de dépôt des comptes de 2013, pour se faire une idée par lui-même de la manière dont la Justice traite ce type de situation… Il y verra au passage que les comptes de 2016 qui devaient être déposés avant le 31 juillet 2017 ne le sont pas non plus…
4/ Autres fraudes hydroélectriques
Bien que ne générant pas de bénéfices, la SHVSS turbine pourtant largement au-dessus de ce que l’Administration autorise et ne réalise pas les investissements obligatoires en contrepartie d’un tarif très favorable payé par EDF dans le cadre de « l’obligation d’achat ».
Quelques exemples à l’appui :
Dépassements de production autorisée : de 2006 (date de la fin de la concession) à 2012 (date de l’arrêté de sursis à statuer) , la SHVSS turbine avec une puissance de 1150 kW alors que la puissance maximale autorisée est de 530 kW.
Dans une lettre du préfet à la SHVSS du 26 août 2016 et affichée sur les murs de l’usine, le préfet signale que les constats auxquels il a été procédé en 2014 et 2015 ont montré que la puissance autorisée de 530 kW n’a pas été respectée :
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La puissance brute de 530 kW a été dépassée puisque la SHVSS a délibérément confondu celle-ci avec la puissance [nette] injectée dans le réseau ;
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Les contrôles opérés en fin d’année 2014 ont montré que la puissance raccordée atteignait 660 kW.
Sur ces divers points, le Procureur de la République a écrit le 18 décembre 2015 : « ERDF a mis en demeure le producteur de régulariser. Celui-ci a régularisé sa situation le 16 décembre 2014, et aucun dépassement n’a été constaté depuis cette date ». Le procureur a par ailleurs estimé : « on peut douter que ces dépassements constatés puissent s’assimiler à une exploitation sans autorisation d’une installation de production d’électricité, seul agissement susceptible de poursuites pénales ».
Bonne nouvelle donc pour les producteurs d’électricité : produire au-dessus des quantités autorisées n’est pas un délit pénal. Il suffit de ne pas se faire prendre… ou d’accepter de régulariser sa situation en cas de contrôle !
Fraude au CODOA (Certificat ouvrant Droit à l’Obligation d’Achat) : en contrepartie de celui-ci, l’entreprise s’est engagée à investir pour moderniser l’installation la somme de 750 € par kW, soit 400 000 € en 8 ans dont 60 % (240 000 €) impérativement dans les 4 ans, soit avant le 17 décembre 2016.
Les 4 ans sont aujourd’hui largement dépassés mais la Société hydroélectrique n’a pas encore réalisé ces investissements obligatoires… Elle a pourtant bénéficié pour cela d’un tarif ultra-favorable. Ce tarif de rachat du fait du CODOA (8,5 c/kWh) est en effet plus élevé que le tarif courant (4 c/kWh, tarif de gros) : il voit son surcoût pris en charge par la CSPE, que paient tous les consommateurs particuliers.
En conclusion : bien qu’ayant présenté des comptes faux ou procédé à des distributions de dividendes non déclarés durant tant d’années, la Société Hydroélectrique de Salles-la-source n’a jusqu’à présent pas été poursuivie et a pu continuer à exploiter depuis 5 ans un revenu qui génère des sommes d’argent substantielles. Elle utilise les revenus de « la petite entreprise » pour payer de avocats et organiser sa défense… On a connu des fraudes de bien plus faible importance qui n’ont pas bénéficié de ce « traitement de faveur »…
Les chefs d’entreprise ne sont pas idiots : ils ne s’accrochent pas à une entreprise qui ne rapporte rien… Il y a forcément entourloupe. Insistez auprès du procureur !
Auriez-vous trouvé le talon d’Achille ?
Pas de bénéfices, d’impôts ! Ce n’est pas crédible car si une installation hydroélectrique demande à ses débuts d’importants investissements, une fois ceux-ci amortis, celle-ci devient très rémunératrice…
Et pourtant…
C’est à se demander si, à tous points de vue, la société hydroélectrique de Salles-la-Source se situe bien en France: Etat de droit, de droit écrit traduit par de nombreux textes législatifs ou réglementaires qui s’imposent à tout Français et que l’Administration a, en principe et dans ses missions, le devoir de faire respecter.
Sauf à supposer qu’il existerait à l’égard de cette société des instructions qui la protégeraient par un secret, d’Etat ou autre ??
Une grande reconnaissance à qui nous aidera à résoudre cette troublante énigme !
Soit deux frère A et B (on aurait aussi bien pu les nommmer Jean-Gérard et Laurent) qui possèdent par moitié les actions de la petite entreprise. Si A en accapare de manière, légale ou non, tous les revenus sous formes de dépenses (n’oublions pas que les bureaux de la SHVSS sont un coquet appartement à Puteaux)ou bien de virement au black sur son compte perso (voir : https://www.ranimons-la-cascade.fr/mais-ou-sont-passes-les-113-990-euros/), alors B ne tire rien de l’affaire, A en recueille tous les fruits…
Ces éléments ont-ils été communiqués en 2015 aux représentants du ministère de l’Environnement et de l’Economie et des Finances venus enquêter à Salles-la-Source ?
Bien sûr, ceux-ci ont reçu une note détaillée sur ce sujet. La seule chose qu’en dit le rapport est que « les prévisions budgétaires et les documents déposés au greffe ne montrent pas une grande rigueur dans leur construction, et ne peuvent pas facilement être utilisés, qu’il s’agisse des comptes d’exploitation ou du bilan ».
On aurait pu souhaiter que le représentant du Ministère des Finances, François Cholley, ingénieur général des Mines, aille plus loin dans l’analyse et les investigations…