De cette entaille jaillit une source qui donne l’abondance à la contrée et assure la vie à tout un peuple

A toutes les époques, le site de Salles-la-Source a donné lieu à des « coups de cœur » des visiteurs, connus ou anonymes, qui l’ont découvert. Le récit suivant décrit le site avant la construction illégale de la microcentrale hydroélectrique, certes  avec quelques erreurs ou approximations, mais avec l’élan du cœur et des mots savoureux et élogieux. Ce texte est signé de Miguel Dolques et a paru dans la revue : « le Magasin pittoresque », du 1 janvier 1916 : 

« L’Aveyron est peut-être le département le plus pittoresque de France. Non parce qu’il donne les produits les plus variés, grâce aux diverses altitudes de son sol ; mais parce qu’il possède des vallons à la température méditerranéenne dominés par des plateaux et des pics plantés en plein ciel.

Et c’est de ces contrastes que son pittoresque est formé. Entre ses vallées profondes et ses cimes arides,  il existe une zone intermédiaire faite pour l’étonnement et le plaisir des yeux.

On s’arrête, on regarde, on admire, se demandant si tout ce que l’on voit est dû à un caprice de la nature ou au pinceau inspiré d’un paysagiste de génie.

Cette zone est verte, fraîche, ornée de beaux arbres : chênes, châtaigner, ormeaux. Des haies vives impénétrables au regard entourent des prairies à l’herbe drue où paissent des troupeaux au pelage roux…

Et les sites sont nombreux qui commandent au regard et émeuvent le cœur !

vue du village carte 1916

Mais quel est donc ce pays ? C’est Salles-la-Source

Pour l’instant, nous nous bornerons à parler du site, le plus beau parmi les plus beaux, et dont notre illustre géographe Reclus a dit « qu’il était peut-être le plus merveilleux de France » : Salles-la-Source!

De Rodez à ce Bourg, il y a onze kilomètres. Vu de la voie ferrée, par une brusque échancrure des montagnes, on le découvre d’un coup et tout entier, à cent mètres plus bas, et c’est le point le meilleur pour en saisir toutes les beautés. Nous ne pûmes retenir cette exclamation : « mais quel est donc ce pays ? »

Un aimable vieillard, assis en face de nous, nous répondit : « C’est Salles-la-Source ».

Nous nous promîmes de le visiter et c’est cette visite que nous entreprenons de raconter.

On se demande par où commencer tant sont attrayants tous les points de cette localité en plein cœur des montagnes…

Après avoir longé le parc de Vabre, on arrive au point le plus élevé du plateau au Crès, où se trouve la station de Salles-la-Source.

Soudain, le décor change ; Rien, ne ressemble au déjà vu. La voiture descend une côte rapide et pleine de surprises à tous les tournants.

Un ruisseau, le Faby, cascade sur la gauche, au sein d’un écroulement de verdure qui va s’épaississant à chaque pas.

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Des rochers en gradins de cyclope

Mais, à droite, ce sont des rochers de calcaire hauts comme des tours, les uns posés en sentinelles sur une éminence abrupte ; d’autres, à pic, limitant un arc de cercle à concavité sombre ; ceux-ci se superposant depuis la route jusqu’à la cime du mont en gradins de cyclope ; les derniers, enfin, ouverts en niches et le plus souvent se projetant comme autant de caps monstrueux où se dresse parfois une petite croix, souvenir commémoratif de quelque accident mortel.

Et c’est en descendant au fond de cette gorge superbe ou inquiétante, suivant qu’on regarde à
droite ou à gauche, que le voyageur arrive, sans s’en douter, sur la place de l’Eglise de Salles-la-
Source (autrefois Salles-Comtaux).

Là, brusquement, les bords s’évasent et un grand cirque s’ouvre où repose le bourg.

Rochers, falaises, églises, châteaux, manufactures, grottes et cascades, voilà ce qu’embrasse
alors le regard émerveillé.

vue-generale-salles-la-source

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C’est bien l’art moderne où tout est mêlé au caprice de la fantaisie

En abandonnant la route qu’on vient de suivre et qui continue à descendre jusqu’à Marcillac
éloigné de treize kilomètres, on prend, à droite, une seconde voie en lacets pour arriver à la partie
supérieure du cirque.

Salles-la-Source est formé de trois agglomérations : le bourg, Salles et Saint-Laurent, lesquelles,
s’élevant du fond du vallon arrosé par le Faby tributaire du Créneau, arrêtent leurs gradins au
pied de la gigantesque falaise en demi-cercle qui supporte le vaste plateau sillonné de haies
nommé : Causse de Concourès.

Dans cette partie du cirque se trouvent autant de roches debout que de maisons d’habitation. Il
est aisé de les confondre entre elles, et cela fait un amalgame étrange et qu’on ne voit nulle part.
Des arbres, espacés ou par groupes de noyers et mûriers agrémentent cet ensemble gris. Après
un coup d’œil d’ensemble, le  regard s’arrête sur ce qui tranche le mieux.

Le sol, ici, est un plateau de tuf. Il supporte une grande manufacture de laines et de draps,
plusieurs moulins, plusieurs lavoirs, On y voit deux châteaux et l’église moderne et paroissiale de
Saint-Loup. La mairie est auprès de l’église ; cette dernière sans style spécial pour la raison qu’elle
les a tous, moins le roman ; l’ogival s’y mêle au gothique avec un soupçon de flamboyant et
Renaissance. Elle représente une croix sans tête.

l'église

La façade qui simule les bras est couronnée par un clocher carré couvert d’un toit aigu à pans d’hexagone. C’est bien l’art moderne où tout est mêlé au caprice de la fantaisie.

Le premier château est enfumé, ce dernier est blanc de la base au faîte

Le Château, sans autre dénomination, est une masse imposante, carrée, flanquée de quatre
grosses et hautes tours rondes; trois d’entre elles sont coiffées en abat-jour; la quatrième porte,
en relief, sous le couvert de son faîte, des mâchicoulis qui lui font une couronne. Une façade
donnant sur un potager est percée de neuf grandes fenêtres modernes qui tranchent dans son mur
ancien. Seules, les ouvertures des trois autres côtés, ainsi que celles des tours, toutes à croix
de pierre, indiquent la Renaissance. L’une de ces tours est envahie jusqu’à la moitié de sa hauteur
par un lierre séculaire.

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L’autre château, qui a nom : Saint-Paul, ne ressemble au précédent que par l’irrégularité de ses
ouvertures. Tout change en lui, ses tours et son corps de logis.

Le premier est enfumé, ce dernier est blanc de la base au faîte. Sa façade principale a l’air d’une
Serine. Ses trois tours rondes et plus élancées sont coiffées d’un toit conique où s’ouvre une
fenêtre de mansarde ; l’une d’elles, la plus haute, lus domine, comme une sœur aînée, de son toit pointu et hexagonal. Cette demeure fait songer au centre d’une exploitation rurale ou à une gentilhommière destinée à servir, aujourd’hui, à un usage différent de sa destination primitive.

chateau-saint-paul-magasin-

Un troisième château, moins important que les deux premiers, surplombe la route de Marcillac.
Il se compose d’une haute tour ronde et d’une façade. Mais la tour seule, assise sûr un énorme
roc, a un cachet ancien et même moyenâgeux.

Une cascade d’un aspect imposant et grandiose !

La plus remarquable curiosité de cette partie de Salles-la-Source, à qui le pays doit son nom
composé, est une source au débit presque aussi important qu’une petite rivière. A la partie la plus
élevée de la falaise, dans le flanc d’un gigantesque promontoire, s’ouvre une large entaille verticale,
assez semblable à un coup de sabre donné par quelque géant.

De cette entaille jaillit une source qui donne l’abondance à la contrée et assure la vie à tout
un peuple. Elle sort, vigoureuse et blanche, pour tomber, comme une longue colonne de neige,
jusqu’à 20 mètres plus bas. Sous les rayons du soleil, c’est un éblouissement continu.

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Cette colonne reste dense jusqu’à, moitié de sa hauteur ; à partir de ce point, elle s’évase en
éventail, épandant une poussière liquide dont on ne peut, au juste, apprécier le développement.

En rencontrant le sol, elle fait entendre un bruit de tonnerre, et des flots d’écume bouillonnent, sous
lesquels tout disparaît ; au sein d’une blancheur qui blesse le regard. La voix humaine, aussi
forte qu’elle soit, ne peut en dominer le vacarme, et l’admirateur ne reste pas longtemps dans son
voisinage sans se retirer les habits chargés d’eau, sous la buée que la chute disperse.
C’est d’un aspect imposant et grandiose !

Cette grande cascade domine des grottes profondes, à l’intérieur extrêmement curieux, où les
stalactites ont dessiné les formes les plus capricieuses sous leur travail incessant de Cristallisation.

L’eau de cette source est pétrifiante, et, depuis sa sortie de la montagne jusqu’au Faby qu’elle
alimente, elle sème un bizarre travail de pétrification.

Le plateau de tuf qui supporte celle partie du bourg est dû à ses eaux, dont le dépôt calcaire, avec les siècles, a recouvert, d’une couche épaisse, le sol primitif.

On attribue le jaillissement de cette source à une déviation souterraine du Tindoul et de la
Vayssière.

Cela paraît peu probable, étant donné que ces deux cours d’eau ne pétrifient rien dans leurs
parcours.

Une chute spéciale pour chaque agglomération

C’est plutôt l’infiltration des ondées pluviales tombant sur le plateau supérieur de Concoures,
lesquelles, rencontrant au passage des calcaires friables, entraînent toutes ces poussières qui vont
se condenser plus bas.

D’un point inférieur à la cascade mère, tombe, d’une roche de dix mètres, une seconde nappe
liquide qu’on nomme : le trou de l’Arnus.

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Et enfin, plus bas encore, comme s’il fallait aux trois agglomérations une chute spéciale pour
chacune, une troisième cascade, de même hauteur que la seconde et qu’on appelle la Crouzy, dis-
perse ses eaux au fond d’une cuvette mystérieuse et couronnée d’une luxuriante verdure.

Les pierres les plus anciennes de ce cirque

Au niveau du vallon et à quelques pas du Faby, sur le devant d’un cimetière, se dresse une
autre église, l’église gothique.

Une masse lourde et trapue qui n’a pas de forme bien déterminée, dominée par un clocher peu
élevé, mais robuste, à pans d’octogone, percé de huit baies romanes et coiffé d’une sorte de clocheton pyramidal. Voilà l’édifice.

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Mais que c’est vieux ! Les siècles ont enfumé toutes ces pierres sous leur patine de chaque
jour.

Après la falaise et les rochers des gorges, vieux, sans doute, comme le monde, cette église et son
clocher sont les pierres les plus anciennes de ce cirque.

On nous raconta que dans les souterrains que celle église recouvre, nombre de prêtres se réfu-
gièrent à l’époque de la tourmente révolutionnaire.

Des souterrains ! Ce ne furent pas les devanciers de ces prêtres, pas plus que ces prêtres eux-mêmes,
qui les creusèrent ; la nature, à coup sûr, en avait été l’unique architecte, dans un pays dont le sol
est fouillé de grottes, de galeries et d’abîmes comme une taupinière.

Quelles découvertes ne ferait-on pas si l’on étudiait un sol pareillement tourmenté !

L’étrange, le bizarre, le pittoresque, le poétique, le beau, l’absolument beau ! 

Il nous reste la conviction qu’il est impossible de décrire à fond Salles-la-Source, au point d’en
donner une idée exacte ; la photographie elle-même n’y arrive qu’imparfaitement.

Salles-la-Source est une contrée qu’on ne peut raconter ni peindre. Il faut la voir.

La nature a placé là tous les attraits et toutes les curiosités dont elle dispose.

Et quand, debout sur la falaise, on embrasse, du regard, l’ensemble du pays et ses horizons, des
beautés se révèlent sans cesse, nombre d’antithèses sautent aux yeux et frappent à tel point qu’on se
demande, extasié, quel côté de ce vallon est le plus attachant.

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Il y a là tout ce que l’esprit suppose au sein de la vie universelle ; tout ce que les yeux désirent et
convoitent ; tout ce que l’âme altérée recherche ou devine : l’étrange, le bizarre, le pittoresque,
le poétique, le beau, l’absolument beau ! »

MICHEL DOLQUES, le Magasin pittoresque – 1916

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Source encyclopédie en ligne Gallica : pages 293 et suivantes et 308 et suivantes

Les illustrations issues de l’article original sont celles de l’église et du château Saint-Paul du Bourg. Les autres photos sont des cartes postales anciennes.

 

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