Christian Bernad et l’exemple du développement de la Vallée du Lot à partir de la restauration de son patrimoine
Ce 4 décembre 2015, c’est Christian Bernad, président fondateur de l’association pour l’aménagement de la vallée du Lot qui est venu nous en parler ainsi que nous apporter des éléments concrets que ce qua la protection du patrimoine peut apporter au développement économique d’une région. Christian Bernad a également présidé avec Pierre-Alain Roche la commission nationale de réflexion sur la « gouvernance de l’eau », publiant un rapport, semble-t-il bien peu pris en compte…
Il nous parla également de l’histoire de l’estofinado et donna quelques éléments de réflexion sur l’avenir de la cascade de Salles-la-Source. La soirée commencée par le partage d’un repas se poursuivit par un riche et fructueux débat :
Le Créneau qui coule à la cascade de Salles-la-Source, après avoir traversé le vallon de Marcillac, se jette dans le Dourdou à Nauviale et ce dernier se jette à son tour dans le Lot après Grand-Vabre.
Le Lot prend sa source en Lozère au flanc de la montagne du Goulet, en Lozère, et se jette dans la Garonne à Aiguillon, dans le Lot-et-Garonne. Il mesure 450 km de long et représente 6000 km de cours d’eau avec ses affluents.
Lorsque se constitua, à la fin des années 60, à Decazeville, sous l’impulsion de quelques personnes dont Christian Bernad, ce qui allait devenir l’association pour le développement de la Vallée du Lot, « il n’y avait aucune conscience populaire des problèmes de préservation de l’environnement et de la qualité des eaux, reconnus aujourd’hui pour essentiels ». Le groupe se donna donc pour ambition de promouvoir le développement économique de la vallée en reliant entre elles toutes les communes de son bassin versant.
Et pour cela il essaya de « sensibiliser les hommes pour prendre conscience de ces richesses ». Il fallut aussi montrer qu’un développement économique est possible à partir du patrimoine, ce qui n’allait pas de soi à cette époque… et montrer la nécessite d’une vision globale au delà des frontières administratives des communes : seule une vision globale permettait de traiter les problèmes convenablement. La qualité de l’eau exigeait la mobilisation de tous les acteurs.
La gestion intégrée des cours d’eau
Ainsi le Lot devint-il le prototype mondial de ce qu’il est désormais convenu d’appeler la « gestion intégrée des cours d’eau » et notre expérience a-t-elle inspiré la directive européenne sur les cours d’eau.
En 1973, l’association propose un programme d’action suite à la rédaction d’un « livre blanc » rédigé lui-même « après consultation de tout le monde », une très vaste et démocratique consultation qui n’est pas pour rien dans le succès du projet.
Il s’agissait alors de faire cesser les pollutions industrielles, de faire fermer les 580 dépôts d’ordure sur les rives, proposer la construction de stations d’épuration, stopper l’extraction de gravier, régulariser le débit de l’eau, permettre la navigabilité de la rivière : inutile de dire que l’association passait à l’époque pour beaucoup pour un regroupement de doux rêveurs peu crédibles aux yeux des responsables économiques « sérieux ».
Pourtant, en 2015, le Lot est devenu au regard de la directive cadre européenne de l’eau une des premières rivières de France à avoir atteint les plus de 60% de bon état écologique exigé par la loi. La rivière génère désormais d’innombrables richesses : elle abrite aujourd’hui 20 grandes bases de loisir, 60 sites de sport nautique.. Elle suscite 8 à 9 millions d’euros de chiffre d ‘affaire dû à la navigation fluviale (160 km navigable), autant lié au canoé-kayak, 2 millions liés à la pêche…
Le Lot est une grande richesse patrimoniale qui, sauvegardé, a apporté beaucoup de prospérité à son territoire. C’est un « bijou de famille » qui bien protégé nous rapporte beaucoup. Le développement de la vallée doit beaucoup aussi aux hommes qui l’habitent qui ont porté et fait vivre tous ces projets. Ce sont les hommes qui font vivre les territoires.
L’estofinado
Christian Bernad, grand maître la Confrérie de l’estofi depuis sa création en 1990 raconta également les origines de ce plat traditionnel de la haute vallée du Lot qu’est l’estofinado et qui intrigue tant : « c’est souvent que des télévisions des Etats-Unis ou du Japon me demandent avec étonnement comment il se fait que l’on mange au cœur du massif central ce plat à base de morue pêchée dans les îles Lofoten au nord de la Norvège où elle est séchée au vent du nord sur des chevalets de bois ».
En fait ce sont les anglais qui ont emmené ce produit à Bordeaux d’où il remontait le long de la Garonne puis du Lot dans les gabares. ça accommodait les repas surtout à base de châtaignes et un peu de porc. Quand ce produit est arrivé à Figeac et Decazeville, comme on ne parlait pas l’anglais, le « stockfish » (filet de morue) est vite devenu l’estofi » et a donné lieu à une préparation culinaire à base de pommes de terre, d’œufs etc. l’estofinado. Ce plat suppose de réhydrater durant une semaine le filet de morue séchée en le faisant tremper dans l’eau.
A propos de Salles-la-Source et de la cascade
« Nous passons chaque semaine à Salles-la-Source, et sommes toujours émerveillés quand l’eau coule… Cette cascade est la seule de France située au milieu d’un village. Quand on a des amis qui viennent, ils sont toujours très impressionnés par sa « chevelure d’argent », lorsqu’elle coule, et veulent aller à son pied. »
« Certes le tourisme a besoin d’organisation ; il doit être synonyme d’accueil. Il y a ici de multiples potentialités. Personne ne peut dire seul « il faut faire ceci ». Pour mettre en place des projets, il suffit de se réunir, de réfléchir ensemble et là, on trouve des solutions. »
« Vous savez, du point de vue de la production énergétique, Salles-la-Source c’est insignifiant, c’est epsilon ! Parlez à EDF de Salles-la-Source et ils vont rigoler ! »
« Et puis, les fondamentaux de la République, c’est le respect de la loi ! Et, tout le monde me le dit, il y beaucoup de choses qui ne sont pas claires à Salles-la-Source… »
Voir aussi « une fabuleuse cascade », poème d’Alice Fenayrou lu au cours de la soirée
Rappel : « Un péché de ne pas la voir couler »
Centre-Presse – 10 novembre 2010
Dès le début de notre combat, Christian Bernad, s’était déjà exprimé de manière vigoureuse dans Centre-Presse du 9 novembre 2010 :
« C’est à titre personnel et non en tant que président de l’association pour le développement de la Vallée du Lot, que Christian Bernad nous a livré son sentiment sur le dossier de la cascade
de Salles-la-source. Pour souligner qu’il est « indéniable que cette cascade est un des fleurons du tourisme aveyronnais, inséré dans un village d’une rare beauté, qui plus est situé sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, et qu’il est indispensable de préserver ce site remarquable dans son intégralité. » Ainsi donc, aux yeux de Christian Bernad, «l’intérêt public doit ici primer de toute évidence sur l’intérêt particulier d’une production d’électricité, d’autant que cette production est aujourd’hui ridicule au regard de la production nationale d’autant que cette centrale avait à l’origine été conçue pour éclairer le village ce qui ne laisse aujourd’hui à cet équipement plus aucune raison d’être. »
Bref, pour notre interlocuteur, qui se souvient «des nombreuses fois » où il a été «frustré de guider des visiteurs vers une cascade à sec sinon réduite à un ridicule filet d’eau».
Et de conclure: «C’est un péché de ne pas la voir couler» car « la production électrique ne doit pas altérer son débit.
Le code civil dit bien qu’il y a des choses, comme l’eau ou l’air, qui n’appartiennent à personne, et dont l’usage appartient à tous. »
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