AH ! PAPA, COMBIEN D’EAU ! COMME ELLE TOMBE ! COMME ELLE BRILLE ! QUE C’EST BEAU ! C’EST NOTRE TIVOLI A NOUS !
De tout temps, la découverte de la cascade de Salles-la-Source a suscité l’enthousiasme de tous et notamment des enfants. Le texte ci-dessous est de Pauline de Flaugergues, poète romantique ayant vécu son enfance sur la commune, dans la vallée du Créneau, au château de Cougousse. Dans ses « Entretiens sur la beauté de la nature », publiés en 1856, celle-ci décrit sous la forme d’un dialogue entre elle-même (Elvire), son père (M. De Montrol) et sa jeune cousine Valérie de Patris (7 ans), les beautés du monde à partir de la découverte du Vallon de Marcillac. Chaque observation est prétexte pour des digressions et leçons d’histoire de géographie, de leçon de chose… et d’instruction religieuse ! L’extrait ci-dessous provient d’une édition de 1935 (avec le surtitre : « Grandeurs et bonté de Dieu » ; chapitre 4, « Grottes, cascades et cataractes« ), dans l’édition plus ancienne de l’ouvrage, où l’auteur signe sous le pseudonyme d’Anne-E de Saintes :
Après un long cheminement, Elvire, Valérie et M. de Montrol découvrent la cascade de Salles-la-Source, comparée ici à celles de Tivoli, un site qui possède plus d’un point commun avec Salles-la-Source… (1).
« Par une délicieuse matinée de printemps, un petit groupe d’amis suivait une route sinueuse nouvellement ouverte à travers les flancs de roche d’une montagne escarpée. Ce chemin, non encore terminé, coupé en quelques endroits par d’énormes blocs que le salpêtre avait détachés de leurs antiques fondements, obstrué dans d’autres par des monceaux de terre que de récents orages avaient entraînés, longeait un sombre et étroit vallon, au fond duquel coulait un rapide ruisseau.
Ses eaux vives, abondantes, froides comme la glace, et claires comme le plus pur cristal, roulaient sous une voûte où diverses nuances de vert se fondaient et mutuellement s’embellissaient, comme dans un riche ouvrage de tapisserie dont une habile brodeuse a choisi et assorti les laines avec un goût exquis. L’aulne à la feuille lustrée et brillante, le saule aux doux et languissants rameaux, se mêlaient à de hauts peupliers d’Italie, qui çà et là élevaient leurs tiges droites, élancées, semblables aux flèches élégantes d’une église gothique, ou aux mâts d’un navire orgueilleux.
Bientôt nos voyageurs quittèrent cette route, et, tournant à gauche, s’engagèrent dans une côte si difficile et si raboteuse, qu’à tous autres qu’à des montagnards elle aurait paru absolument impraticable. En effet, les rochers, rompus en durs échelons, formaient une voie plus semblable à un rude escalier qu’à un chemin battu. Là pourtant marchait d’un pas lent mais sûr un coursier, le plus pacifique et le plus prudent des coursiers, portant une femme et une jolie enfant de six à sept ans. La manière dont ces deux amazones étaient placées sur leur débonnaire monture annonçait la plus complète ignorance de l’art de l’équitation.
L’air de sécurité et d’insouciance avec lequel elles causaient, chantaient et riaient, en suivant cette route dangereuse, annonçait ou une confiance sans bornes en l’intelligence de leur patient Bucéphale, ou une extrême indifférence de la vie Non!… Un homme à la physionomie noble, douce, à la tournure distinguée, aux manières remplies de grâce et de dignité, marchait à côte de leur cheval, le guidant du geste et de la voix, se tenant prêt à saisir les rênes au premier mauvais pas, à la moindre apparence de danger.
La sollicitude touchante empreinte sur les traits expressifs de M. de Montrol (c’était son nom), la tendresse qui brillait dans ses humides regards toutes les fois qu’il les fixait sur la jeune enfant que nous avons désignée, les inflexions passionnées de sa voix quand il lui parlait, tout cela disait clairement que cette enfant était sa fille, une fille unique et adorée, le seul objet sur lequel se réunissaient toutes les affections d’un cœur profondément sensible et douloureusement éprouvé.
Deux serviteurs et plusieurs chevaux suivaient à quelque distance. Une conversation un peu enfantine mais fort animée, s’était établie entre nos trois voyageurs.
VALÉRIE. Quand donc verrons-nous les cascades, papa?
M. DE MONTROL. Bientôt, ma fille. Dis-moi, en attendant, ce que tu as lu hier en italien.
VALÉRIE. La description des cascades de Tivoli.
M. DE MONTROL. Hé bien ! qu’as-tu à m’en dire?
VALÉRIE. J’ai à vous dire, papa… voyons… D’abord, Tivoli est un endroit près de Rome. Cet endroit s’appelait autrefois Tibur. La route par laquelle on s’y rend était nommée jadis la voie Tiburdine. Elle est bordée de monuments et de ruines intéressantes. Après avoir gravi des monts très escarpés, on arrive dans un lieu où un temple antique attire d’abord l’attention. Près de là, une rivière nommée aujourd’hui le Teverone, et autrefois l’Anio, se précipite d’un grand rocher sur d’autres qui sont plus bas$ et forme ainsi une première et magnifique nappe d’eau. Puis, se brisant sur les rochers de l’étage inférieur, elle s’y divise en plusieurs filets d’eau qui forment autant de nouvelles cascades, petites mais très jolies, qu’on appelle les cascatelles. On dit que toutes ces ondes, avec leur bruit, leur écume, le beau ciel qui les surmonte et le beau paysage qui les encadre, font un effet ravissant que les voyageurs ne peuvent se lasser d’admirer.
ELVIRE. Puisque tu rends si bien compte de nos lectures, mon amie, nous continuerons demain celle-là. Tu verras la description de ce qui prête à l’antique Tibur ses charmes les plus touchants, celui des souvenirs. C’est là que s’élevaient jadis la villa du plus grand des poètes de l’impériale Rome, et celle de son fidèle ami. Un peu plus loin, vers le sud, était la fastueuse retraite d’Adrien, où la colonne de Corinlhe s’élançait à côté de l’obélisque de Memphis, où se rencontraient étonnés le siècle de Sésostris et celui de Périclès, où brillaient les chefs-d’œuvre de tous les temps et de tous les pays.
M. DE MONTROL. Oublions ces classiques souvenirs, Elvire, oublions les prodiges de la puissance et ceux des arts, pour admirer les beautés de la simple nature. Je ne vous ai fait suivre ce sentier pénible que pour vous ménager une agréable surprise… Avancez de quelques pas encore… jusqu’à l’angle de ce rocher… maintenant, regardez ! Regarde, ma Valérie !
VALÉRIE. Ah! Papa, combien d’eau ! Comme elle tombe ! Comme elle brille ! Que c’est beau ! C’est notre Tivoli (1), à nous !
Nos deux voyageuses mirent pied à terre. Elles étaient devant la principale des trois chutes d’eau de Salles-la-Source. Nous ne pourrions décrire les exclamations nombreuses qu’arracha à leur enthousiasme la vue de cette petite mais délicieuse cascade.
M. de Montrol et ses deux compagnes passèrent derrière le rideau brillant et irisé que la cascade formait devant l’entrée de la grotte, le pénétrèrent dans ce frais et charmant réduit. Là, à la requête de Valérie, quelques mets rustiques, mais délicieux, furent étalés sur un fragment de roche auquel la nature avait donné la forme d’une table : c’était un pain d’une couleur brune et d’un goût savoureux, certains gâteaux sans levain, fort en honneur dans les environs; c’était la fraise odorante des côteaux voisins, du miel recueilli dans le tronc d’un vieux chêne, et qui, par sa nuance or pâle et son parfum exquis, rappela à M. de Montrol celui de la Thessalie. Pour que rien ne manquât à ce petit banquet, un vin pétillant et rosé se mêla dans de jolies coupes de bois d’ébène à l’eau brillante de la cascade. Ce vin ne venait point des vignobles fertiles de la Champagne, mais de ceux de M. de Montrol. Et qu’elle était belle la salle du festin ! avec quel luxe la nature avait pris soin de l’orner ! Autour, les pétrifications imitent des sièges, des demi-colonnes, des candélabres ; à la voûte, elles représentaient des oiseaux, des fleurs, des arabesques. Mais comment rendre l’effet de cette éblouissante nappe de cristal qui.se déployait à l’entrée, et qu’en ce moment un soleil ardent colorait des plus riches reflets ?
Cette jolie grotte, dit M. de Montrol, me rappelle plusieurs de celles que j’ai vues dans mes premiers voyages en Suisse et en Italie… »
(1) – Tivoli : les cascades de Salles-la-Source ont parfois été comparées par les auteurs romantiques à celles de Tivoli dont le site est aujourd’hui classé au patrimoine mondial de l’humanité. Tivoli est une ville proche de Rome. Très ancienne cité datant d’avant la colonisation romaine, elle connut, sous le nom de « Tibur », un apogée durant la période romaine, avec la construction par l’empereur Hadrien de sa résidence de villégiature, la Villa Adriana, au début du IIe siècle. Durant toute cette période, la ville s’enrichit grâce à l’extraction de travertin, servant à la construction des palais romains (ex. colonnes de la place St Pierre du Vatican), et également grâce à ses eaux thermales réputées.
De la Renaissance au XIXe siècle, divers cardinaux et papes relèvent l’attrait de la ville par la construction de la Villa d’Este, qui reste l’un des plus importants exemples et modèles de jardins d’eau de cette période, ayant attiré de très nombreux artistes européens, peintres, poètes ou musiciens voyageant dans la campagne romaine« . De par sa conception novatrice et l’ingéniosité des ouvrages architecturaux de son jardin (fontaines, bassins, etc.), elle est un exemple incomparable de jardin italien du XVIe siècle qui a servi très tôt de modèle pour le développement des jardins en Europe.
Rochers, cascades impétueuses, monuments anciens, eaux thermales, exploitation du travertin pour la construction des monuments de Rome : on le voit les points communs de Tivoli avec Salles-la-Source ne manquent pas…
Un autre point commun est à soulever : l’Italie a construit sa première centrale hydroélectrique en 1885 à Tivoli. En 1892, une seconde centrale installée au même endroit a fourni de l’électricité à la ville de Rome, c’était la première émission d’électricité longue distance en Italie. La production électrique perdura jusqu’en 1993, date à laquelle la compagnie Enel abandonna cette exploitation sur le site de Tivoli qui fut restauré au moment où il accèdait au titre de patrimoine mondial de l’humanité.
Le site de Tivoli a su attirer de très nombreux peintres :
[…] Le seul rapprochement possible est celui de la cascade de Salles avec la cascade de Tivoli [voir ici], qui se précipite de même, du haut d’une roche calcaire, féconde en grottes et en […]
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