Solidarité en cascade

« Les oubliés de l’agriculture » : tel est le titre de l’édifiant ouvrage qui vient tout juste d’enrichir la bibliographie de l’Aveyron. Mais quel rapport, pourra-t-on être tenté de se demander, entre ce livre et la lutte pour la cascade de Salles-la-Source ?

Oh que si, qu’un rapprochement s’impose. Et non pas qu’un, d’ailleurs.

L’un comme l’autre, déjà, nous renvoient à un Moyen Âge proche où les notables faisaient la loi.

Dans les grosses fermes, raconte René Verdeil, l’un des nombreux témoins du livre, les salariés mangeaient à la même table que les patrons mais on ne nous servait pas la même chose. Les patrons avaient droit à un peu plus de graisse dans la soupe. Les salariés avaient trois ou quatre couennes tandis que les patrons avaient trois ou quatre tranches de jambon.

On n’a pour ainsi dire pas connu de vie de famille. Je partais à 5h le matin et quand je revenais le soir à 21h les enfants étaient couchés. Je n’ai jamais pris une semaine de congés jusqu’à ma retraite. Ça ne se faisait pas. »

Dans ce même temps où servantes, vaylets, bergers vivaient dans des conditions proches du servage, une grosse légume construisait sans la moindre autorisation un barrage souterrain à Salles-la-Source pour détourner à son usage l’eau de la cascade.

UN MAGNIFIQUE EXEMPLE DE LUTTE CONTRE LE FATALISME

Le bouquin ne présenterait qu’un intérêt ethnographique limité s’il se bornait à n’être qu’un catalogue de doléances sur fond sépia. Toute sa force tient à la chaleur qui en émane sitôt ouvert. Il brûle d’une flamme contagieuse : celle qui a animé durant ces cinquante dernières années les acteurs du changement social (on serait tenté d’employer le mot révolution) au sein de la profession des salariés agricoles de l’Aveyron. Pêle-mêle, plusieurs noms viennent tout de suite : ceux de Maurice Bourdoncle, Henri Mazenc, André Lautrec, André Lacan, et d’autres, qui jetèrent en 1965 les bases de l’Association des Salariés Agricoles de l’Aveyron. La lutte contre le fatalisme et l’arbitraire commençait. Ce fut un âpre combat dont le livre relate minutieusement les étapes et les péripéties.

Dur, dur, le combat aussi pour la sauvegarde du site, et plus généralement de la démocratie, à Salles-la-Source. Le récent rebondissement aurait tout pour décourager les bénévoles défenseurs de la cause. L’exemple des pionniers de l’ASAVPA qui sortirent les salariés agricoles de leur misère ne sauraient que les encourager : il n’est pas d’obstacle dont la constance et la fermeté ne finisse par venir à bout.

SIGNÉ GAUVAIN

Combien de fois ne nous entendons-nous pas dire, à « Ranimons la cascade ! » :

« Bravo pour votre combat. Je suis à 100% avec vous. Mais je ne peux pas participer à vos actions. Je n’ai pas le temps. »

Dire combien ces encouragements platoniques nous font sourire… Tous autant que nous sommes, au conseil d’administration de « Ranimons la cascade ! », nous avons des activités personnelles et des engagements à ne plus savoir où nous retourner. Mais s’il en est un qui nous bat tous à plate couture c’est bien notre président, Bernard Gauvain.

Bernard Gauvain, précisément, l’auteur du livre « Les oubliés de l’agriculture ». Un homme qui, outre la nôtre, donne son intelligence et sa générosité à plusieurs associations. L’ingénieur agronome, animateur depuis 1995 de l’ASAVPA de l’Aveyron qu’il est, a encore trouvé le temps et l’énergie d’offrir à l’histoire de l’Aveyron cet ouvrage superbement documenté. Les 380 pages se doublent d’un document tout aussi précieux et édifiant : le dvd du film que le réalisateur Marcel Trillat consacra, en 1971, aux salariés agricoles de l’Aveyron, du Tarn et du Tarn et Garonne. Les témoignages bouleversants, révoltants qu’on y voit et entend dépassent ce qu’on pourrait imaginer (comme dans l’affaire de la microcentrale de Salles-la-Source).

Ainsi « les oubliés de l’agriculture » ont-ils définitivement gagné une mémoire. Et une belle.

Comme quoi encore, chez ceux qui l’ont chevillée au corps, la solidarité coule en cascade.

Y.G

2 Responses to Solidarité en cascade

  1. Bernard Gauvain dit :

    Merci pour ces propos élogieux. Ces éloges doivent surtout aller à ceux qui ont mené et mènent encore ce combat…
    Pour information complémentaire, le première président de l’ASAVPA, André Lacan, était ouvrier agricole chez un notable, propriétaire d’un domaine proche de Muret-le-Château. Ce propriétaire s’appelait… Etienne Bastide. Par delà ses rôles de gérant de la micro-centrale hydroélectrique de Salles-la-Source et de directeur à EDF qui lui permettaient de vendre ET d’acheter l’électricité qu’il produisait, il possédait aussi un grand domaine agricole à la Goudalie.

  2. ERGE dit :

    C’est bien la même personne qui , en tant que gérant de la SHVSS, vendait à EDF l’électricité qu’il produisait à Salles-la Source, ET qui, en tant que chef de centre EDF, achetait la même électricité .
    Sans commentaire !

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