« Le pouvoir attire les francs-maçons comme la lumière les papillons »
Le 7 juin, l’association « Ranimons la cascade ! » recevait à Salles-la-Source Jacques Molénat, journaliste politique d’investigation, qui travaille et écrit depuis plusieurs décennies sur les francs-maçons et la franc-maçonnerie. Il tente de comprendre leur réel pouvoir. Il est l’auteur du « Voyage indiscret chez les francs-maçons du midi » (Cairn, 2018).
Pourquoi « Ranimons la cascade ! » avait choisi de l’inviter ? Les quatre-vingt-dix ans de fraudes, de complicités judiciaires et administratives, de fiasco qui ont rythmé la vie de la microcentrale hydroélectrique de Salles-la-Source ont forcément une explication. L’existence de réseaux d’influence cachés, l’intervention de notables intouchables et au bras long a souvent été évoquée. Un réseau est cité avec une particulière insistance, depuis même les années 1930 : la franc-maçonnerie ; ou plutôt ces fameux affairistes déviants de la franc-maçonnerie dont le rôle est dénoncé par plusieurs grands maîtres mêmes d’obédiences maçonniques. Un fait est certain : nous retrouvons dans le dossier, y compris dans la période récente, des noms de francs-maçons, certains éminents, d’autres moins. Certains ont été des défenseurs directs de la SHVSS (la Société Hydroélectrique de la Vallée de Salles-la-Source). D’autres ont fait montre d’une stupéfiante inaction… Il est donc légitime que nous essayions d’y voir plus clair.
Cette soirée n’avait toutefois pas pour but d’accuser sans preuve ni de faire porter le chapeau des malheurs de Salles-la-Source à tel ou tel réseau. L’objectif était de lever un coin du voile, de mieux comprendre comment fonctionnent – et surtout comment dérivent – ces réseaux plus que discrets.
Trois-cent-mille en France
La franc-maçonnerie, a expliqué Jacques Molénat, est une société initiatique qui vise à améliorer ses membres entre eux et à améliorer la société.L’initiation est ce qui unit les membres, constitue en quelque sorte leur « code génétique ». Il n’y a pas à proprement parler de « secret » de la franc-maçonnerie (tel une pierre philosophale…) mais il y a le secret d’appartenance : chacun peut dire ou non s’il est franc-maçon mais ne peut en aucun cas révéler l’appartenance d’un de ses frères. En général, les francs-maçons n’aiment pas trop qu’on enquête sur eux. Il y a en France une dizaine d’obédiences principales et une centaine de petites obédiences. Il y aurait en France environ trois-cent-mille francs-maçons, un nombre qui a doublé en vingt ans.
Pourquoi enquêter sur eux ?
« Un ami m’a parlé du « club 50 » de Montpellier. Je me suis procuré son annuaire et j’y ai retrouvé l’essentiel de la nomenklatura de Montpellier ! J’étais journaliste politique à Montpellier et je n’en savais rien ! J’avais déjà enquêté sur le vrai pouvoir des catholiques ou des protestants. Pourquoi ne pas enquêter sur le vrai pouvoir des francs-maçons ?
« L’info, c’est la clé du pouvoir »
On trouve des « clubs 50 » dans beaucoup de villes. Ils rassemblent presque exclusivement des notables de la franc-maçonnerie locale : c’est très sélectif et coopté. Ils se retrouvent souvent une fois par mois autour d’une bonne table. Ils peuvent appartenir à plusieurs loges différentes. Ces « clubs 50 » sont des lieux d’échange d’information sur les grands projets de la ville, de la région : l’information, c’est la clef du pouvoir. A Montpellier, on trouve un peu l’équivalent : c’est le cercle Mozart, dont le nouveau président est Jean-Marc Maillot. Il compte environ trois-cents membres. Ils proviennent du Grand Orient de France, la loge la plus influente de Montpellier. A la différence d’autres cercles, une partie d’entre eux ne sont pas francs-maçons. Mais cela peut être un moyen de recrutement. La fraternisation amène des profanes à devenir francs-maçons. Ils invitent des responsables de la ville ou du monde politique. C’est à la suite de l’invitation d’Eric Zemmour par le cercle Mozart, sur laquelle j’avais écrit un article dans la gazette de Montpellier, que l’ancien président, Michel Fromont, et le nouveau, Jean-Marc Maillot, ont été exclus du Grand orient. Ils ont fait appel de cette décision. »
Et les fraternelles ?
Ce sont des groupes qui rassemblent des francs-maçons de diverses obédiences autour d’une branche professionnelle ou d’un intérêt commun (fraternelle parlementaire…).. Les « clubs 50 » sont des fraternelles de gens puissants.
Ils se succèdent entre eux
On constate que souvent, ils se succèdent entre eux. Avoir un réseau peut aider pour constituer des listes. A Montpellier, à un moment, 40 % des élus de la ville étaient francs-maçons, ce qui désolait certains : trop de francs-maçons, cela casse l’élitisme.
Quel est leur rôle politique ?
Ils ne sont pas suffisants nombreux pour avoir un impact électoral. Par ailleurs ils ne sont pas tous du même bord. Le maire de Montpellier, lui-même franc-maçon, a autour de lui beaucoup d’opposants politiques, membres eux aussi de la franc-maçonnerie.S’il y a de la complicité implicite entre eux, il y en a aussi qui se déchirent entre eux… même s’ils se disent « frères ».L’ancien maire, Georges Frêche (qui n’était pas franc-maçon lui-même mais, comme beaucoup de maires, savait utiliser les francs-maçons) avait l’ambition de fusionner les agglomérations de Montpellier et de Sète. Il avait ainsi demandé à son chef de cabinet de contacter tous les francs-maçons, élus, syndicalistes… pour leur parler de ce projet (qui d’ailleurs n’a pas abouti).La franc-maçonnerie, c’est surtout un carrefour d’informations : c’est ce que m’avait dit l’ancien maire de Narbonne : « c’est là où on peut avoir un coup d’avance sur le plan politique ».
Toulouse, une ville franc-maçonne
Toulouse est la ville de France où la franc-maçonnerie est la plus présente. Le groupe de La Dépêche a été dirigé par des francs-maçons, essentiellement la famille Baylet. Le PRG en regroupe beaucoup… Carole Delga, la présidente de la région Occitanie ne l’est pas mais elle est entourée de beaucoup de francs-maçons.
Y a t-il un engagement éthique lorsque l’on entre en franc-maçonnerie, engagement à ne pas utiliser ce réseau pour ses affaires, comme on trouve au Lion’s club ou au Rotary ?
Pas à ma connaissance.
Les découvertes du procureur de Eric de Montgolfier
Ayant été nommé procureur à Nice il a constaté avec effroi la puissance maçonnique et a essayé de nettoyer, au moins un peu la ville : il est l’exemple d’une autorité judiciaire qui prend les problèmes à bras le corps.
Pourquoi ce refus de la mixité pour eux qui se disent « progressistes » ?
Il y a une tradition très macho chez les francs-maçons. Ils disent que « ça troublerait leur quiétude »…
Au niveau de « Ranimons la cascade ! », on constate de la part de la haute Administration comme de la justice des décisions totalement surprenantes ou inattendues. Sont-ils présents dans ces deux secteurs ?
Il est évident que les francs-maçons ont une implantation forte dans ces deux institutions. Pour autant, on ne doit pas les incriminer trop vite de manière « pavlovienne », comme le font certains.
Être relié à un tel réseau n’est-ce pas perdre un peu de son indépendance ? Que risquerait (en interne) un juge qui condamnerait un de ses frères francs-maçons ?
On peut effectivement se retrouver dans le cas de figure d’une affaire avec un juge, un avocat et un inculpé qui seraient tous trois francs-maçons… Il y a un risque réel d’exclusion de leur loge… Pour cette raison, dans une situation pareille, un avocat devrait se déporter. Surtout, dans une affaire où il y a un doute. En tous cas l’avocat devrait vous dire son appartenance et jouer carte sur table… Mais les avocats n’aiment pas se dévoiler car ils risqueraient de perdre une partie de leur clientèle…
A « Ranimons la cascade ! », nous sommes transparents ; nous publions les résultats de nos travaux et tout le monde peut les critiquer. La transparence fait partie de la démocratie… On constate au contraire que les francs-maçons sont secrets, ne communiquent jamais publiquement (on ne peut pas ainsi les critiquer…). Ils sont absents de la vie publique. A Rodez, on ne les voit jamais nulle part (en tant que tels)…
La franc-maçonnerie n’est pas une institution démocratique : c’est un système élitiste et coopté. Il y a là un vrai problème démocratique. C’est une de leurs contradictions alors qu’ils se disent républicains…
Où recrutent-ils ?
Il y a beaucoup plus de francs-maçons dans le Midi de la France qu’ailleurs. La cotisation annuelle à payer est de l’ordre de 400 à 600 euros : de ce fait, on compte peu parmi eux de chômeurs ou d’ouvriers. Ce sont plutôt des classes moyennes ou supérieures mais pas la haute finance. La moyenne d’âge est plutôt élevée car les jeunes ont rarement le temps de participer. Politiquement, ce sont plutôt des centristes. Il y a beaucoup de macronistes. Un des plus connu était Gérard Colomb. La cérémonie d’investiture d’Emmanuel Macron au Louvre leur a parlé. Dans l’ancien Languedoc-Roussillon, on a une douzaine d députés LREM dont la moitié sont connus pour être francs-maçons.
Face à une affaire comme la nôtre où il y un doute autour de possibles interventions de la franc-maçonnerie, comment peut-on faire pour en avoir le cœur net : ne pas accuser sans preuve et ne pas
passer à côté de quelque chose… ?
Essayez de vous instruire le plus précisément possible sur chacun des parcours, de décrypter l’ensemble. Se renseigner, se renseigner… Il existe aussi d’autres réseaux affairistes…
Certains expliquent des promotions professionnelles inattendues et particulièrement rapides, dans la magistrature ou dans la haute administration par exemple, par cette appartenance. Certains disent qu’ils ont leur mot à dire lors de nominations ministérielles et qu’ils convoitent particulièrement certains ministères comme l’Intérieur, la Justice ou la Défense dans lesquelles il y a beaucoup de nominations à des postes de responsabilités (magistrats, préfets…)
Le pouvoir attire les francs-maçons comme la lumière les papillons…
Dans la presse :
Centre-Presse du 1 juin 2019 :
Centre-Presse du 12 juin 2019 :
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