Hold up

22 mars : journée mondiale de l’eau

« Hold-up » : c’est sous ce nom que paraissait en 1985, une nouvelle d’Yves Garric abordant le problème de l’eau, dont l’affaire de la cascade de Salles-la-Source, où se déroule cette nouvelle, est à bien des égards symptomatique. Cette nouvelle a paru dans un recueil intitulé : « les tigres de Cantagasse », aux Editions du rouergue :

pour Yoyo

–  » Tout ira bien… « , dit Chanson.
Elle sourit. Dans ses yeux, il y avait un océan de détresse. Acturus voulut respirer ses cheveux. Son regard buta contre la bouteille vide derrière elle, sur la table de chevet, revint s’accrocher aux cernes bleuâtres de son visage. Il reçut comme une gifle l’idée qu’ils avaient peut-être fait l’amour pour la dernière fois.
Chanson rejeta le drap et s’assit.
–  » Tout ira bien… « , répéta-t-elle. Elle continuait de sourire. Acturus sauta du lit, enfila son pantalon. Il sentit la crosse du désintégreur glisser le long de sa cuisse. Chanson resta un long moment dans la salle de bains, sous la douche à micro-ondes.
La nuit était déjà tombée quand il sortirent. Ils prirent le R.E.R. place d’Armes.
Les gratte-ciel leur fondirent dessus en formidables claques. Il y eut le sifflement plus aigu des turbines sur le viaduc de Bourran, le léger cahotement de l’aiguillage de Bel-Air.
Ils descendirent, avec un flot de voyageurs, à la station de SalIes-la-Source. Ils empruntèrent l’escalier roulant qui montait vers la cascade.
nuit. Il donna immédiatement l’ordre de couvrir les pelouses et de rentrer les arbres. Par prudence, il préféra faire remettre la coupole tout de suite au-dessus de la cascade. On n’était d’ailleurs pas loin de la fermeture.

Custos Numéro VII ouvrit la porte de la cabine. Le vent lui jeta de plein fouet le brouhaha de la cascade. Il hésita, tira la glissière de son uniforme. Il gravit les trois marches, se mit à arpenter la passerelle qui courait le long de la falaise. En bas, les touristes continuaient à affluer. Des bribes du boniment des guides lui parvenaient, répercutées par le rocher et dominant le fracas des eaux :
« … site absolument unique au monde… l’un des sept derniers points d’H2O potable de la planète et le seul d’Europe… trésor d’une valeur inestimable… s’explique par l’absence relative de nitrates au XXe siècle sur
cette partie du Causse Comtal… l’eau abondait autrefois sur toute la surface du globe… était couramment consommée aussi bien par les hommes, les bêtes que par les plantes… Sa raréfaction, puis sa disparition progressive ont obligé les hommes à fabriquer des liquides de synthèse…aucun ne présente de qualités seulement comparables… afin de préserver sa pureté, la cascade a été mise en circuit fermé… une pompe électrique remonte l’eau… tout un système complexe permet d’éviter l’évaporation… la perte est infime… de l’ordre de cinq milligrammes par an… à ce rythme néanmoins, la cascade sera complètement à sec dans cent millions d’années… « 
L’un des faux oiseaux était tombé en panne et battait inlassablement des ailes au-dessus du déversoir. Exceptionnellement, on avait escamoté la coupole mobile de plexiglas. Entre les visiteurs et la chute d’eau, il ne demeurait qu’un rideau anti-embruns presque invisible. Custos Numéro VII se sentait toujours un peu nerveux dans ces cas-là, malgré le dispositif de sécurité renforcé.
Quand il réintégra sa cabine, un télex l’attendait sur l’écran météo : des pluies acides étaient annoncées pour le début de la nuit. Il donna immédiatement l’ordre de couvrir les pelouses et de rentrer les arbres. Par prudence, il préfèra faire remettre la coupoletout de suite au dessus de la cascade. On n’était d’ailleurs pas loin de la fermeture.

Acturus était surpris par le calme qui l’avait gagné. Le grondement de la cascade lui procurait une sorte d’apaisement, presque de l’euphorie. Il serra la main de Chanson. Un colosse devant eux lui masquait le fabuleux bassin. Il se haussa sur la pointe des pieds. Il feignit de s’absorber dans les explications
du guide…
Mentalement, il évaluait la distance qui le séparait de l’eau. Le rideau anti-embruns, à une dizaine de mètres, n’offrait probablement qu’un obstacle insignifiant.
Il sentit la main de Chanson serrer très fort la sienne. Le guide arrivait à la fin de son laïus.

Custos Numéro VII monta sur la passerelle pour surveiller les opérations. L’oiseau en panne s’était pris l’aile gauche dans une fausse fougère de la falaise. Il continuait à brasser l’air de son aile libre, posé sur un arc-en-ciel entre deux projecteurs. Il sembla à Custos Numéro VII que l’équilibre des baffles lais­sait à désirer : peu s’en fallait que le pianotage des gouttelettes dans le bassin ne couvrît le grondement de la chute. Le gardien-chef dériva cette pensée sur son enregistreur d’idées. Le moteur de la coupole commença à ronronner. Presque aus­sitôt un hurlement de sirène déchira ce brouhaha. Custos Numéro VII se retourna, plongea le buste au-dessus du vide.

En bas, un homme avait pénétré dans la zone interdite. Sa tête était dissimulée par une cagoule. Il poussait une sentinelle, à reculons, devant lui, avec le canon d’un désintégreur. Une jeune femme au visage mangé par une visière noire marchait à côté de lui, un sac à la main. Lentement, ils se rapprochaient du bassin. Custos Numéro VII se ressaisit au bout de quelques secondes… Il prit le temps de viser… L’homme lâcha son désintégreur, porta les mains à la poitrine, tomba à genoux, puis bascula sur le côté. Sa tête heurta la margelle du déver­soir. La femme poussa un rugissement de fauve. Avant que Custos Numéro VII ait eu le temps de viser une seconde fois, elle s’était jetée dans le bassin. Il se précipita vers l’ascenseur. Quand il arriva en bas, la femme, assise sur les talons, tenait le cercle des gardiens en respect avec un revolver à laser. Elle avait l’autre main repliée en conque. Son compagnon était étendu devant elle, les yeux ouverts. Et elle lui versait un filet d’eau sur les lèvres.

Yves Garric
Les tigres de Cantagasse
1985

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