Chute de salles-la-Source : les enjeux paysagers

En quoi le site de Salles-la-Source est-il unique et exceptionnel ? Pourquoi est-il l’objet d’un tel attachement collectif même après 85 ans de spoliation ? Pourquoi il doit-il être réhabilité ? De quelle manière a-t-il au fil des siècles inspiré artistes et poètes ? De quelle manière peut-il devenir le moteur d’un tourisme intelligent ? Autant de questions qui se posent de manière plus aigüe au moment où une mission d’enquête s’approprie les données essentielles concernant ce site. Ci-dessous un rappel de quelques éléments amplement développés sur ce site Internet au cours des cinq dernières années :

Un nom révolutionnaire

Salles-la-Source ! Du nom qu’il portait avant la Révolution : Salles-Comtals (« les demeures comtales »), Salles-la-Source a gardé la première partie qui témoigne de sa riche histoire du temps du Moyen-âge lorsque les comtes de Rodez développèrent le village autour du « Roc du Comte », où étaient situé le « Château Majeur », sur un lieu défensif en bordure de l’eau, dans une « Seigneurie » avec ses nombreux châteaux et ses églises romanes, ses moulins et ses riches jardins, protégés par un microclimat.

La « Source », symbole de l’eau, énergie alimentant les moulins au service du roi, enjeu de tous les conflits, a été retenu par les citoyens de ce village comme un symbole de ce que la Révolution leur avait apporté : l’eau comme un bien commun à partager et non comme un moyen de pouvoir et d’oppression ! La révolution terminée, Salles-la-Source, à la différence de la plupart des communes de France choisit de garder son nom révolutionnaire…

Un village inscrit au Patrimoine

Ce n’est qu’en 1945 qu’enfin Salles-la-Source put être « inscrit au patrimoine national » avec « ses quatre agglomérations » et dans le même classement, le site du Tindoul de la Vayssière, à quelques km de là, sur le causse Comtal, gouffre au fond duquel circule la rivière souterraine qui jaillit à nouveau à ciel ouvert dans le village de Salles-la-Source. L’arrêté du 22 novembre 1945 « inscrit sur l’inventaire des agglomérations pittoresques de l’Aveyron le village de Salles-la-Source et ses quatre agglomérations ».

Outre les magnifiques panoramas, parmi ces quatre agglomérations, le village compte aussi diverses maisons anciennes, l’ancienne filature et sa charpente en carène renversée qui deviendra le « Musée du Rouergue » avec une des plus belles collection de France de roues de moulins anciens ou encore les caves de Saint-Laurent bâties dans les éboulis du chaos rocheux et protégées de la chaleur par de somptueux marronniers… sans parler des innombrables richesses patrimoniales que compte le restant de la commune.

A noter que le village est également classé en ZNIEFF de type II. L’ensemble des milieux humides (ruisseaux et cascades) sont de type « Source pétrifiantes avec formation de travertin » (habitat d’intérêt communautaire prioritaire ; code eur 7220 ou Corine biotope 54.12)

La cascade inspire les écrivains, les artistes et les poètes

On doit à l’époque romantique, les quatre célèbres gravures de Salles-la-Source de 1833, dues au baron Taylor qui dressa l’inventaire des plus beaux sites de la région « Languedoc », embauchant pour cela les plus grands artistes de son époque, citant Salles-la-Source comme l’un des 7 plus beaux sites de l’Aveyron. Le contexte « romantique » de l’époque transpire largement se son œuvre.

En 1844, Alexis Monteils écrivait : « Ah ! Si Fénelon eut vu ce beau vallon, cette belle verdure, ces belles eaux, cette belle grotte, l’île de Calypso en eut été bien plus délicieuse et ses nymphes bien plus séduisantes. »

En 1856, la poétesse Pauline de Flaugergue dans ses « entretiens sur la beauté de la nature », met dans la bouche de Valérie cette exclamation : « Ah ! Papa, combien d’eau ! Comme elle tombe ! Comme elle brille ! Que c’est beau ! C’est notre Tivoli, à nous ! »

Lors de l’arrivée du chemin de fer, Salles-la-Source est signalé sur tous les guides touristiques qui s’exclament. En 1896, le Conseil Général de l’Aveyron, « désireux de donner le plus d’extension possible au mouvement excursionniste qui attire chaque année, à l’époque des vacances, de nombreux touristes dans les contrées les plus pittoresques de la France et d’en faire bénéficier notre département, émet le vœu que la compagnie de chemin de fer de Paris-Orléans fasse disparaître les rochers qui, dans le trajet de la station de Nuces à Salles-la-Source, cachent au voyageur la vue du vallon de Salles-la-Source ».

En 1910, la revue nationale « L’Univers Illustré » du 14-21 août 1910 cite la phrase mémorable d’Elisée Reclus :  « Salles-la-Source, un des plus merveilleux sites de France ». Elle décrit le village à l’époque où la résurgence « s’écoule de la falaise en flots impétueux et se divise en deux bras qui se réunissent au fond de la vallée »

Un système hydrogéologique complexe

Le delta de Salles-la-Source est en effet un site hydrogéologique complexe. Ses six sources sont recensées par Martel en 1893 qui établit un laboratoire au fond du Tindoul de la Vayssière. Delà ou du village de salles, il explore les divers bras souterrains de la rivière. A cette époque, la grotte de Salles, avec ses stalactites et ses stalagmites, ses lacs souterrains est librement ouverte aux visiteurs. Martel étudie la dissolution du calcaire sous le causse et la recalcification de l’eau à l’air libre qui forme les tufs si abondants à Salles-la-Source.

La source principale, nommée « Grande fontaine » totalement asséchée par la captation souterraine de l’eau était décrite en ces termes par Jean Vaysse de Villiers, en 1830, dans son « itinéraire descriptif de la France » : « J’aimais à contempler à mes pieds cette belle source, qui sortant en cataracte écumante des entrailles du rocher, se précipite aussitôt en fracas sur les roues d’un moulin, et, changeant bientôt après ses flots d’argent en flots d’azur, court arroser les gazons du château ».

Les six cascades de Salles seront particulièrement bien décrite et situées par l’ingénieur Varlet, directeur honoraire de l’électricité et président d’honneur de l’association pour la défense du site de salles-la-source, lors de l’enquête publique de 1977 : la Grande cascade sur le créneau, la cascade de la Vayssière et celle du trou de l’Arnus sur la gorge aux loups, les deux ruisseaux se réunissant pour former la sauvage et somptueuse cascade de la Crouzie, en bas du Village. A cela s’ajoutent deux trop-pleins, le trou Marite et lors des crues exceptionnelles, la cascade dite également de la « Gorge aux loups ».

Il est également à noter, que à trois reprises depuis 2010, en application d’arrêtés sécheresse, les éclusées ont été interdites en été et l’usine hydroélectrique a éét stoppée. « Ranimons la cascade ! » à chaque fois constaté que, en dépit de la sécheresse, la source du trou Marite se remettait à couler ! Ces faits ont d’ailleurs été constatés par huissier. Ils tendent à montrer que la remise à l’état d’origine du site produiraient rapidement des effets bénéfiques immédiats pour ce deuxième ruisseau.

Une cascade au cœur du village

Partout en France, les cascades sont des lieux touristiques qui attirent, des oasis de fraîcheur près desquelles on vient se rafraîchir l’on vient au cœur des canicules. La « Grande cascade » de Salles-la-Source était d’ailleurs, avant que son eau ne soit détournée, réputée ne jamais tarir.

Avec sa grotte, sa mousse, son arc-en-ciel, sa vasque qui reflète la lumière mais surtout avec son eau qui jaillit de sous une maison d’habitation en bordure de la rue principale du village, bien en vue depuis la départementale pour le visiteur qui au détour d’un virage est ébloui par la majesté du site, elle a quelques chose de tout à fait unique, d’exceptionnel qui ravit le visiteur.

Le pillage du site

 cascade-salles-la-source-28-juin-2010

1932 marque l’année du pillage du site et de l’assèchement des cascades. En 1934, l’ingénieur Varlet découvre ce site et l’usine construite sans autorisation. « Quant à la Source qui alimentait – auparavant – une magnifique cascade, il n’en était plus question pour les visiteurs du site de Salles la Source, ni pour les habitants. L’un d’eux me déclara désabusé : « Ah, Monsieur, « ils » ont pris toute l’eau de la Source. »

En 1937, la revue « Rouergue, terre de vieille France », écrit : « Salles-la-Source possède un décor incomparable de tufs, de châteaux, de grottes, de terrasses, mais hélas ! ses cascades sont mortes. On a emprisonné l’eau vive, mal défendue contre un barbare utilitarisme, dans de lourds tuyaux qui vont alimenter une usine hydroélectrique, et ses cascades ne se ranimeront qu’à la saison des grandes eauxet parfois aux jours de fête votive ».

C’est ainsi qu’en dépit du combat de ses habitants, Salles-la-Source disparaît peu à peu des guides touristiques. Hormis quelques épisodes pluvieux puissants, l’eau ne coule plus que lors de la fête annuelle de la saint-Loup, où dans un feu d’artifice offert par l’usine électrique on ouvre à grand bruit la vanne en amont de la cascade pour regarder couler celle-ci… quelques instants.

Plus tard en 1980, un accord, par deux fois inappliqué et réécrit, propose finalement d’ouvrir la cascade les samedi et dimanche après-midi à la belle saison. L’accord ne sera jamais appliqué le samedi et médiocrement, le dimanche.

Dans les années 90, Jean-Gérard Guibert hérite de l’installation familiale et turbine plus que déraisonnable, tarissant la cascade jusqu’à le dernière goutte : ce sont les année où le visiteur appâté par les photos des dépliants touristiques arrivent en haut de village en demandant « où est-elle la cascade ?» et les riverains de leur répondre : « vous êtes passé devant mais elle était asséchée ».

Ainsi en 2010, les deux cinéastes Claude Nuridsany et Marie Pérennou, auteurs de Microcosmos écriront : « Le plus beau et le plus célèbre ornement de Salles-la-Source, sa cascade, est depuis des décennies soustrait au regard de ses habitants et de ses visiteurs par suite de l’exploitation hydroélectrique au seul bénéfice d’un particulier.

Nous sommes convaincus qu’il est temps de mettre un terme à cette exploitation pour le plus grand bénéfice des habitants de la commune, mais aussi de tous ceux du département et de la région, sans compter les nombreux visiteurs de Salles-la-Source, qui aujourd’hui font l’amère expérience de découvrir une cascade réduite à un filet d’eau ».

La période Jean-Gérard Guibert, ses multiples procès et son comportement de voyou ont inscrit durablement la fraude, cautionnée par l’État, dans l’histoire sombre de la cascade. Des années noires que « ranimons la cascade ! » aimerait bien faire disparaître à tout jamais…

Quatre-vingt cinq ans d’injustice n’y ont rien fait. La cascade de Salles-la-Source bénéficie d’un attachement passionnel de tous ceux qui l’ont un jour découverte. On y vient se faire photographier aux grands moments de la vie (à condition qu’il y ait un peu d’eau !). On y vient en toute saison pour le plaisir. Salles-la-Source n’est rien sans sa source.

La porte du Vallon, à côté de Rodez

Comme le chantait Lucien Grégoire, le félibre millavois, dans ce qui est devenu « la chanson de Rodez » assimilant dans l’identité ruthénoise le clocher de Rodez à la tour Eiffel et les chutes du Niagara à celles de Salles-la-Source :


« Ne s’aben pas de Tour Eiffel
Aben be lou clouquié
De nostro cathedralo

Toutes sabes qu’en Americo
AÏmou toujoun de se banta
Citou coumo une caouso unico
Los chutes del Niagara
Certos, los aou prou renoummados
Mes naoutres que sen de Roudes
Diren ols americains,
Benes juscos o Sallos
Y beïres de cascados »

« A Rodez, nous n’avons pas la tour Eiffel, mais nous avons le clocher de notre cathédrale.

A Rodez, nous n’avons pas les chutes du Niagara, mais nous avons les cascades de Salles-la-Source »

Aujourd’hui, Rodez s’enorgueillit d’accueillir le Musée Soulages qui a reçu en quinze mois plus de 300 000 visiteurs dont un bon nombre part ensuite sur les traces des vitraux du même Soulages, à Conques. Entre ces deux « Grands Sites de Midi-Pyrénées », ils ne peuvent que découvrir… le village et la cascade de Salles-la-Source…

L’avenir de Salles-la-Source n’est plus à l’industrie mais au tourisme

Voici la motion votée par l’Office de Tourisme de Marcillac, en octobre 2010 : « La cascade du Village de Salles-la-source, pose le décor emblématique d’un territoire où la nature et encore sauvegardée, raconte le travail de l’eau, de la pierre et des hommes.

Les paysages du Vallon, la géologie, la présence de pierres mégalithes les plus nombreuses en France, le patrimoine bâti, les sites protégés, les églises classées et la culture identitaire de la vigne sont tous les témoins et ambassadeurs d’une économie touristique sur laquelle les acteurs publics et privés investissent actuellement. »

Et Jean-Louis Chauzy, président du Conseil Économique et Social de Midi-Pyrénées d’ajouter : «  La cascade de Salles-la-Source appartient au patrimoine de tous les Ruthénois. C’est une raison pour tenir bon, faire changer la décision de l’État pour qu’elle coule autant que la pluviométrie le permet. Elle fait partie du bien public.

Salles-la-Source est un atout formidable pour les habitants de Rodez et au-delà. C’est un facteur de notoriété et d’attractivité. Il faut tenir, résister et gagner forcément ».

Jean-Pierre Azema, spécialiste des moulins, affirmait lors de la journée du patrimoine 2014 : « Les anciens moulins à eau de Salles-la-Source sont un élément fort de l’identité de Salles-la-Source, un capital hérité de onze siècles d’histoire énergétique, intégrés dans l’environnement, les derniers garants de permanence de l’eau dans les campagnes, un patrimoine de proximité,  endormi qui ne demande qu’à être valorisé.

Le premier pas a été fait par la création du Musée du Rouergue, un musée unique, qui contient toute la mémoire du Rouergue. Il reste sur la commune de Salles-la-Source 14 moulins qui méritent aussi toute l’attention des élus et de la population ! »

En juin 2015, Jean-louis Alibert, Maire de Salles-la-Source, insistait dans le bulletin municipal : « sur le potentiel patrimonial et touristique de Salles-la-Source qui peut permettre une reconnaissance à notre commune au sein de la Communauté de Communes et des nouveaux territoires (SCOT et PETR) : « Nous saisirons ces opportunités pour défendre et valoriser la richesse exceptionnelle de notre patrimoine naturel et historique, en protégeant notre cascade et en repoussant les projets industriels que l’on veut nous imposer , en sauvant le paysage du causse Comtal, en améliorant notre accueil et notre attractivité touristique. »

Par ailleurs, le Programme opérationnel FEDER Massif central 2015-2020 affirme et met de large moyens pour que « la qualité environnementale et paysagère du Massif central soit un atout majeur de son attractivité qui est aujourd’hui mal valorisée ».

Un monument naturel

Avec ses rejets d’eau à partir de la canalisation en amont de la cascade, à heure fixe et débit calibré, programmés pour trente ans, le projet de règlement d’eau tardivement mis en place par la DDT, sans concertation aucune avec ses habitants, fait figure de Disneyland rural où l’on est prié d’organiser ses visites en fonction des « horaires d’ouverture ». Destinée à sauver la face de l’Administration et à éviter un rejet retentissant, cette initiative ne peut en aucun cas refléter l’infinité variété des apparences, des reflets et des éclairages de la cascade, avec des débits totalement artificiels et déconnectés de la pluviométrie. Comme le dit un visiteur : « Un château, quand on l’a vu une fois, on le connaît. Mais une cascade, on peut y retourner sans cesse, elle est toujours différente ».

On est bien loin là avec de rejet de canalisation à heure fixe et débit de ce que l’auteur des « annales de l’Agriculture » décrivaient en 1834 : « Tout est charmant, tant ensemble que détail, dans ce bijou géologique. Les sources nombreuses qui sourdent au pied des rochers, la distribution tantôt lente, tantôt rapide de leur eaux, la belle cascade qu’elles forment. Le bruissement, la pluie continue, l’arc-en-ciel du soir, la fraîcheur qui naissent de cette cascade ; la grotte humide et tapissée de verdure dont elle protège l’entrée et dans laquelle ne pénètrent que quelques rayons de lumière réfractés par ses eaux ; les gerbes d’eau qui jaillissent en mille sens divers des rochers sur lesquelles elle tombe et se brise ; l’écume blanchie qui bouillonne dans le bassin qu’elle remplit sans cesse ; la nappe mouvante de cristal qui se déroule à l’issue de ce bassin ; les accidents du terrain, la belle végétation qui le couvre ; le mélange des eaux, des arbres, des rochers, des maisons ; une belle papeterie ; tout cela forme un vaste amphithéâtre irrégulier, vrai bazar où sont étalées, sous les plus heureuses combinaisons, les œuvres de l’homme et celles de la nature. »

Salles-la-Source, plus beau village de France ?

Couverture

« Point d’orgue du site » selon les mots du commissaire enquêteur André Malet lors de l’enquête publique, « Elément paysager central du site » selon la CNDPS du 13 mai 2011, la cascade de salles-la-Source permettrait sans doute à Salles-la-Source de devenir un des « plus beaux villages de France ». Il avait d’ailleurs figuré en couverture du « Guide des beaux villages de France » publié en 1989 par Sélection du Reader’s Digest.

« Il est indéniable – écrivait Christian Bernad, président de l’Association pour l’aménagement de la Vallée du Lot – que cette cascade est un des fleurons du tourisme aveyronnais. C’est un péché de ne pas la voir couler. Le code civil dit bien qu’il y a des choses comme l’air ou l’eau qui n’appartiennent à personne et dont l’usage appartient à tous.

La cascade de Salles-la-Source est mythique. Il faut non seulement préserver ce mythe mais lui permettre l’élan dont il est capable au service de l’économie de notre région. Avec vous je proclame : « Ranimons la cascade de Salles-la-Source ! » 

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