Droits fondés en titre : qu’en est-il à Salles-la-Source ?

La Société Hydroélectrique de Salles-la-Source dispose-t-elle encore en 2019 de droits fondés en titre comme elle tente de le faire croire depuis plusieurs décennies ? C’est aussi ce qu’affirment les juges du Tribunal Administratif qui ne sont visiblement pas venus sur place pour voir de quoi il s’agit ? L’affaire est désormais devant le Conseil d’Etat…

On constate pourtant que :

  • Ces prises d’eau du moyen-âge des anciens moulins sont en totalité détruites, pour les dernières en 1931, ainsi d’ailleurs que les moulins et biefs.
  • Si ces installations existaient encore, elles ne pourraient plus disposer d’eau pour les alimenter.

Les droits fondés en titre sont des droits particuliers à l’usage de l’eau, exonérés de toute procédure d’autorisation ou de renouvellement. Les ouvrages qui en bénéficient sont dits « ouvrages fondés en titre », ou « usines ayant une existence légale »

Ces droits d’usage ont un caractère « perpétuel » tiré  du fait qu’ils ont été délivrés avant que ne soit instauré le principe d’autorisation de ces ouvrages sur les cours d’eau, mais ils se perdent néanmoins lorsque la force motrice du cours d’eau n’est plus susceptible d »être utilisée par son détenteur.

Sur les cours d’eau non domaniaux, comme le Créneau, il s’agit de droits qui appartiennent à des moulins réalisés sous le régime féodal par les seigneurs avant la Révolution et que la nuit du 4 août 1789 n’a pas abolis.

L’exercice des droits fondés en titre est placé sous la responsabilité de l’administration de police de l’eau, qui est actuellement, en Aveyron, la Direction Départementale des Territoires (DDT). Cette administration dispose, à cet effet, d’informations sur la situation réelle locale, en s’appuyant sur des guides ministériels à l’usage des services de police de l’eau, pour instruire les affaires qui lui sont soumises. Elle est la seule qualifiée pour reconnaître officiellement des droits fondés en titre, si elle en est saisie par les propriétaires de moulins.

Deux enquêtes publiques se sont déroulées à Salles-la-Source  au sujet de l’exploitation de la chute d’eau qui a pour origine le plan d’eau d’un barrage sur la rivière souterraine du Tindoul de la Vayssière  et pour fin le ruisseau du Créneau à la Crouzie.

         – la première, du 2 au 25 novembre 1977, relative à une demande de concession présentée le 28 août 1973 par le gérant E. Bastide  de la SHVSS afin de « régulariser la situation administrative de ses installations », en réponse à une mise en demeure ministérielle datant de 1939 ;

  • la deuxième, du 14 juin 2010 au 15 juillet 2010, relative à une demande d’autorisation  présentée  le 31 décembre 1998 par le gérant JG. Guibert de la SHVSS.

Ces deux demandes soutiennent mordicus que les installations bénéficient d’un droit fondé en titre de 530 kW de puissance, mais aucun des deux gérants ne justifie ses dires, alors que, en application d’une règle fort ancienne, rappelée par l’ingénieur Brugidou dans son rapport administratif du 21 septembre 1940, « il appartient à l’usinier de faire la preuve de la puissance fondée en titre », comme le préconisait alors le Comité consultatif des Forces Hydrauliques. L’administration a, semble-t-il, admis sans sourciller cette dérogation aux règles qu’elle se devait pourtant de faire respecter.

Quoi qu’il en soit, le Service de l’Industrie et des Mines qui a instruit la demande de concession affirme, dans son rapport du 10 juillet 1978 que les ouvrages concernés  qu’il cite (barrage, conduite forcée et usine) « ont été crées en 1930 par la Société », soit bien après l’abolition en 1789 des droits féodaux, de telle sorte que l’usine proprement dite ne peut bénéficier légalement d’aucun droit fondé en titre. 

C’est donc par erreur que la SHVSS s’est attribuée,  apparemment sans réplique de l’administration, des droits fondés en titre aux installations d’une usine datant de 1931, construite d’ailleurs sans autorisation, et qu’elle a même qualifiée à tort, d’ «établissement ayant une existence légale » auprès du Conseil d’Etat en 1946.

Schéma de circulation de l’eau : circuit du Créneau, circuit des moulins,
circuit de la conduite forcée

Mais pourquoi le chiffre de 530 kW qui exprimait la valeur de la puissance fondée en titre ?

C’est parce que la SHVSS a, en fait et sans l’écrire, associé à l’usine les moulins qui existaient à Salles-la Source sur le Créneau depuis un temps immémorial, en s’abstenant, à tort,  de les décrire , comme ouvrages constitutifs, aussi bien  à l’article 6 du cahier des charges de concession, qu’au chapitre B, § 2, de la demande d’autorisation du 31 décembre 1998.

Les deux  gérants ont pris en compte la puissance définie par l’ingénieur Brugidou  dans son rapport du 21 septembre 1940 par lequel il a estimé que la puissance globale des douze anciens moulins qui fonctionnaient en1789 dans Salles-la-Source, tous fondés en titre, était de 530 kW, en faisant toutefois une hypothèse simplificatrice invraisemblable qui consistait à  admettre que le même débit dérivé passait dans chacun des moulins, ce qui revenait à remplacer artificiellement les douze moulins par un seul,  purement imaginaire de toute évidence.

Les gérants ont conduit leurs raisonnements en ne prenant en  considération que le moulin imaginaire de 530 kW de puissance qui n’a, en fait, ni prise d’eau, ni canal, ni point de restitution de l’eau, en excluant toute information sur chacun des  moulins  intéressés : nom, situation, hauteur de chute, débit dérivé, puissance.

De plus , ils ont admis, sans le démontrer, que les moulins qui existaient en 1789 étaient toujours aptes à fonctionner dans les mêmes conditions en 1977, puis en 1998, avec une puissance  égale à 530 kW, ce dont il est permis de douter à défaut de preuves.

D’après des informations tirées de rapports présentés en1934 et 1940 par les ingénieurs Jean et Brugidou de l’administration :

  • les moulins prélevaient leur eau, d’abord sur le ruisseau même du Créneau dans sa partie comprise entre sa source, là où elle sort de terre, et la chaussée Saleilles, et ensuite sur une dérivation du ruisseau qui prenait naissance à la chaussée Saleilles pour se terminer à la Crouzie sur le Créneau ;
  • l’usine prélève son eau dans une des galeries par où s’écoule la rivière souterraine dite du Tindoul de la Vayssière, au moyen d’une prise située au pied d’un barrage tout aussi souterrain ; l’eau prélevée, qui est essentiellement de l’eau souterraine, est ensuite transférée directement à l’usine par une conduite forcée.

Sont bien séparés et indépendants l’un de l’autre, le circuit qui alimente les moulins et celui qui alimente l’usine. L’eau qui passe dans les moulins ne passe pas par l’usine. L’eau qui est captée au barrage par la prise d’eau n’alimente pas la source du Créneau, donc les moulins. Les moulins et l’usine ne sont pas associés, contrairement aux affirmations de la SHVSS.

Barrage souterrain construits dans la falaise en 1931 et prélevant l’eau de la rivière souterraine

Comme le reconnaît  Me Rémy, avocat de la SHVSS,  dans son mémoire en défense du 10 novembre 2017, la prise d’eau en tête de la conduite forcée court-circuite les anciens moulins.

Si l’on veut que ces derniers conservent leur droits fondés en titre, il faut leur permettre de fonctionner en permanence, donc de disposer du débit de 475 l/s estimé par l’ingénieur Brugidou et également pris en compte par  Me Rémy.

A cet effet, ce débit de 475 l/s doit être réservé à la prise d’eau, ce qui n’est pas le cas, comme le confirme la SHVSS elle-même en déclarant dans sa demande d’autorisation du 31 décembre 1998 qu’ « il n’y a pas de débit réservé fixé au cahier des charges de la concession ».

Me Rémy n’a vraisemblablement pas réalisé que la prise d’eau ne comportait aucun dispositif qui aurait  permis de laisser couler en aval dans la rivière, le débit de 475 l/s  nécessaire au fonctionnement  des moulins.

L’absence de débit réservé ne garantissant pas  la fourniture en permanence d’une force motrice suffisante fait perdre aux moulins leurs droits fondés en titre.

L’eau prélevée dans la conduite forcée suit son circuit propre et ne permet plus d’alimenter les anciens canaux d’amenée des moulins, à supposer que ces derniers aient été conservés.

Comme d’autre part, l’usine de 1931 n’est pas fondée en titre, il est permis d’affirmer que  l’ensemble des ouvrages utilisant les chutes de Salles-la-Source ne sont bénéficiaires d’aucun droit fondé en titre, et ce, depuis la mise en service de l’usine en 1931. 

Cette disposition ne remet pas en cause la concession, mais interdit de délivrer à la SHVSS  l’autorisation sollicitée  le 31 décembre 1998 afin d’exploiter une usine pour laquelle la demande d’autorisation fait état d’une fausse existence de droits fondés en titre.

* Cette note a été rédigée par un adhérent ancien chef de service de la DDE de l’Aveyron

6 Responses to Droits fondés en titre : qu’en est-il à Salles-la-Source ?

  1. Ergé dit :

    Me Rémy écrivait effectivement dans son mémoire en défense du 10/11/2017, page 3, 2e alinéa:
    « …. les travaux suivants ont été réalisés:
    ………………………………………………………………
    Installation d’une conduite forcée………court-circuitant ainsi les anciens moulins…….., ces travaux ayant notamment permis d’augmenter le débit dérivé par les ouvrages, de 475 l/s anciennement, à 990 l/s ».

    Les anciens moulins bénéficiaient effectivement de droits fondés en titre consistant en un droit d’usage de l’eau évalué à 475 l/s qu’ils auraient conservé si la SHVSS avait équipé la prise d’eau au barrage d’un dispositif permettant de maintenir immédiatement en aval de la prise d’eau le débit de 475 l/s nécessaire au maintien de l’usage de l’eau dans le circuit court-circuité. Or un tel dispositif n’existe pas, ce que Me Rémy a l’air d’ignorer.
    En conséquence, les travaux réalisés ont eu pour effet de réduire de 475 l/s le débit nécessaire à l’usage de l’eau par les moulins, et non d’augmenter de 475 l/s à 990 l/s le soi-disant et invraisemblable « débit dérivé par les ouvrages » cité par Me Rémy sans la moindre explication technique.
    Les propos tenus par Me Rémy ne sont autres qu’une une contre-vérité que l’administration de contrôle n’a, semble-t-il, pas décelée.

  2. Ergé dit :

    Quid du débit de 475 l/s ?

    Ou bien il est envoyé dans les moulins s’il est « réservé » à la prise d’eau, ou bien, dans le cas contraire, il est conduit à l’usine par la conduite forcée.
    C’est le dernier choix qui a été fait en 1930 par la SHVSS afin d’envoyer à l’usine le maximum d’eau pour produire le maximum d’électricité, ceci bien sûr au détriment de l’alimentation des moulins.
    Il en résulte que la SHVSS ne peut prétendre pouvoir disposer du droit d’usage de l’eau de 475 l/s, en même temps aux moulins ( droits fondés en titre) et à l’usine (production électrique).
    Il apparaît ainsi que la SHVSS réclame, à tort, « le beurre et l’argent du beurre ».
    Reste à savoir qu’elle est la position de l’administration responsable, sous l’autorité du préfet, de la police de l’eau ?

  3. L’Administration est hélas aux abonnés absents. La préfète a toujours refusé de rencontrer les responsables de « Ranimons la cascade ! » depuis son arrivée en Aveyron en janvier 2018 (mais a su signer des arrêtés pour nous faire retirer des panneaux qui dénonçaient le silence préfectoral…) et c’est ainsi que le « Fiasco » continue…

  4. yves phalip dit :

    des solutions existent …on ne visite pas la cascade la nuit ou les jours de mauvais temps ……periode propice a turbiner!!!!! donc on peut jouer a 50…50 a intèrets commun ….il existe des possibilitèes electrique et mecanique a commander par simple information (bouton poussoir) a proximitèe de la cascade afin de dèriver l’eau vers celle ci(un temps defini…temporisè règlabe….
    a mediterd’une idèe personellepha

    • Nous ne doutons pas de votre bonne volonté à trouver une solution qui concilie le respects de la légalité et l’ensemble des intérêts. Mais la cascade est un monument naturel et non l’attraction foraine que vous proposez.
      Et puis de loin, tout paraît plus simple et cette question ne se pose plus aujourd’hui car un autre choix a été fait.

      Ces questions avaient été longuement étudiées en 2015 par une mission d’inspection inter-ministérielle qui a duré 3 mois et a abouti dans son rapport de conclusion à constater le faible intérêt énergétique de la centrale et un « fiasco administratif depuis le début » par un exploitant procédurier habile à utiliser les lenteurs de la Justice et de l’Administration. Elle a préconisé pour en sortir :
      – de clôturer la concession achevée depuis 2005 avec retour des biens à l’Etat (utilisés aujourd’hui gracieusement par l’exploitant).
      – d’étudier la possibilité de faire tourner une entreprise en laissant un peu d’eau à la cascade
      – de demander à la mairie de se positionner : petite turbine et cascade maigrichonne ou suppression définitive de l’installation ?
      – Ce choix a été fait le 26 juin 2016 et a donné lieu à la signature d’un arrêté préfectoral de fermeture définitive (aujourd’hui contesté par les Tribunaux).

      Profitant de ce délai et de l’inaction de l’Administration, l’exploitant continue à turbiner, ce qui lui permet de payer ses avocats pour financer de coûteuses procédures…

      De nombreuses autres illégalités demeurent: fraude au CODOA etc. qui nous mobilisent pleinement et il a nettement un manque de volonté de l’Administration d’avancer. Pour preuve, l’exploitant a entrepris des travaux sans autorisation en janvier sans que la Préfecture ne réagisse…

      Ne parlons pas du manque de transparence et qui est tout-à-fait scandaleux.

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