Le 22 janvier se tiendra l’audience devant la cour d’appel administrative de Bordeaux

Le mardi 22 janvier, à 13h30, se déroulera devant la Cour d’Appel Administratif de Bordeaux le procès en appel suite au recours déposé par « Ranimons la cascade ! ». Une délégation de l’association y sera présente.

Cette audience est une étape importante et attendue dans notre combat pour la cascade. Elle peut mettre un point fin à notre combat comme elle peut consister en un énième rebondissement dans cette invraisemblable et sulfureuse affaire. 

Le jugement qui en suivra (qui devrait être connu trois semaines plus tard) pourrait être une amorce de conclusion à une affaire qui aura occupé la chronique administrative et la chronique judiciaire depuis plus de 80 ans avec un enjeu médiatique à la hauteur de la passion de tous ceux qui connaissent et apprécient la célèbre cascade de Salles-la-Source, situé en Aveyron, à 15 km de rodez, au flanc du causse Comtal.

Pour l’association « Ranimons la cascade ! », c’est l’aboutissement de 8 ans et demi de mobilisation.

Résumé ultra-simplifié en 1 diagramme, 3 épisodes et quelques points d’attentions :

1930-1980 : de l’usine illégale à la demande de concession

Il y a 87 ans, était construite illégalement, par des notables locaux dont le sénateur Amédée Vidal, une usine hydroélectrique alimentée par une prise d’eau dissimulée dans la falaise et retenant l’eau de la rivière souterraine qui alimente les deux rivières du Créneau et de la Gorge au loup. Ces deux rivières fusionnent plus bas après avoir alimenté plusieurs cascades en une rivière unique qui après une dernière chute qui forme la cascade de la Crouzie, rejoint la rivière du Fabby issue du village de Souyri.

Au moyen âge, une douzaine de moulins étaient alimentés par deux dérivations du Créneau. Ils connurent (moulins et dérivations) diverses modifications au fil du temps. Ils se succédaient au cours de plus de 100 mètres de dénivelé et actionnaient de petites meules à roue horizontale telles que celle qui forme aujourd’hui le symbole du musée du Rouergue. Ce dernier est lui même occupant les lieux de l’ancienne filature construite au XIXème siècle en lieu et place de l’un des anciens moulins.

50 ans de protestation auprès d’une Administration qui laissait faire ou bien tergiversait ainsi qu’une malheureuse explosion de la conduite forcée en 1971, firent que l’on aboutit à un cahier des charges fut signé en 1979 puis un décret de  concession signé en 1980 par le premier ministre de l’époque Raymond Barre.

Jusque là, les propriétaires de l’usine se réclamaient d’un droit d’usage de l’eau que l’on appelle « droit fondé en titre ». L’Administration valida curieusement cette appellation (avec les droits qui vont avec) alors que ces moulins avaient disparu depuis longtemps pour la plupart depuis belle lurette, et vers 1930 pour les deux derniers encore en fonctionnement. Ainsi disparaissaient par la même occasion et définitivement ces mêmes droits d’usage de l’eau exclusivement réservés à de installations restées à l’identique depuis 1789.

L’opiniâtre Association pour la Défense du Site de Salles-la-Source, mena des années 60 aux année 80 le combat pour la régularisation de la situation et la préservation du site exceptionnel de Salles-la-Source et de ses diverses cascades au cœur du village. Elle fit inscrire le site au patrimoine dès 1945. Henri Varlet, ancien directeur des forces hydroélectriques de Toulouse puis adjoint du ministre de l’industrie, révolté par la situation, y contribua également et devint alors président d’honneur de l’association. Des procès nombreux émaillèrent cette période et le Conseil d’Etat s’empara deux fois de la situation, sollicité par la Société Hydroélectrique de la Vallée de Salles-la-source (SHVSS). Rappelons qu’à cette époque, il n’y avait pas encore de cours d’appel administratif et que tout jugement contesté lui remontait.

Les fameux « droits fondés en titre » furent régulièrement au cœur de l’argumentaire des propriétaires de l’usine contestée qui pensaient s’être fait attribuer là une sorte de rente à vie définitivement incontestable. Sans jamais présenter la moindre preuve de ces prétendus droits, la SHVSS laissa imaginer qu’au moyen Age un moulin unique utilisait l’ensemble de l’eau de la rivière, sur l’ensemble de sa hauteur et qu’elle ne faisait que reprendre ce droit pour produire désormais et pour toujours de l’électricité, asséchant les rivières t cascades mais alimentant sa bourse.

La ficelle était grosse mais pourtant l’Administration voulut bien avaler la couleuvre… Elle arriva même par divers modes de calcul, faisant varier la hauteur de chute et le débit de la dérivation unique, elle aussi imaginaire, à affirmer que sa puissance était de 530 kW. Pourtant, à bien y réfléchir, la prise d’eau ne pouvait pas dater du moyen Age puisque construite à l’intérieur de la falaise, cette « innovation technique étant postérieure à l’exploration de la grotte par le spéléologue Martel vers 1880 et de l’arrivée de l’électricité à Salles-la-Source en 1906 grâce au remplacement de la « filature Droc », elle-même héritière des moulins situés au pied de la falaise, par une première conduite forcée qui canalisait l’eau sur un dénivelé d’une dizaine de mètres.

Pourtant à bien y réfléchir, la conduite forcée empruntait sur la plus grande partie du trajet un chemin différent des dérivations principales  et secondaires qui alimentaient les moulins, ces dérivations étant alors définitivement détruites.

Pourtant à bien y réfléchir, l’usine située très en aval du dernier moulin et son canal de fuite était disposée en un lieu où jamais moulin n’avait été construit.

Consulté, la Conseil d’Etat, faute peut-être d’être venu constater sur le terrain, s’en tira par une pirouette. Il déclara que droits fondés en titre ou non, le surplus de production d’énergie dépassait de toutes façons le seuil légal nécessaire et exigea une demande de concession. Ce qui fut fait en 1980.

1980-2005 : la concession inachevée

Curieusement, le cahier de charges de la concession entérina, sans que personne à l’époque ne pense à le contester, une « puissance fondée en titre » de 530 kW. Celle-ci devait en principe servir à la fin à déterminer le solde des comptes en cas de reprise de l’installation par l’Etat (permettant ainsi l’attribution d’une substantielle indemnité) ou bien en cas de revente de l’installation par l’Etat à son propriétaire (diminuant alors substantiellement la somme recevoir par l’Etat).

Encore eut-il fallu que le cahier de charge soit respecté durant ces 25 ans ! Mais ce n’était pas dans les manières de faire de cette entreprise passant aux yeux de la population comme « largement au dessus des lois mais bénéficiant de protections en haut lieu ». Les nouveaux notables « intouchables » de l’époque se nomment alors Etienne Bastide et Georges Guibert...

Le débit de la cascade devait au début être maintenu à 200 litres/ seconde « de 8 h au coucher du soleil et de Pâques à la Toussaint » afin de préserver le site. Il n’en fut rien. Ce débit fut par deux fois renégocié à la baisse jusqu’à devenir 40l/s les dimanches après-midi…

Les installations devaient donner lieu à un constat et un procès verbal avant autorisation définitive. Il n’en fut rien de sorte qu’on se retrouve avec un deuxième barrage non autorisé et plus haut de 1.30 m au premier ou encore avec 3 turbines alors que 2 sont autorisées.

Le bornage n’est pas réalisé et les servitude sur les terrain d’emprise de la conduite forcée et des barrages ne sont pas mises au nom de l’Etat…

De la sorte, le dossier de fin de concession, achevé en 2008 (il devait l’être au plus tard en 2002…) s’avère totalement incomplet si bien qu’en 2019, les biens qui devaient revenir à l’Etat depuis 13 ans sont toujours dans les mains de la SHVSS qui turbine avec à son seul profit.

Depuis 2006 : une longue attente qui profite à la SHVSS

Le 19 janvier 2009, le directeur de la DRIRE (ancêtre de la DEAL) remarquait qu’il ne pouvait pas valider tel quel le dossier de fin de concession. 10 ans et quelques procès plus tard, le dossier n’est toujours pas validé et la SHVSS continue à faire tourner sans droits ni titre sa petite entreprise…

Le dossier de fin de concession n’étant pas validé :

– l’arrêté de déclassement du Domaine Public Hydroélectrique n’a pas été pris;

– l’administration ne s’est pas prononcée sur le respect de la convention du 17 octobre 1979, donc sur la régularisation administrative des installations de la microcentrale;

– l’administration ne s’est pas prononcée sur la situation actuelle d’occupation sans titre du DPH par la SHVSS.

Le procès du 22 janvier 2019 suffira-t-il pour clarifier l’affaire et contraindre l’Etat à boucler cet interminable dossier ? Réponse sous peu…

Comme depuis 80 ans, la SHVSS ne manquera pas d’affirmer qu’elle dispose de droits d’eau « fondés en titre » et donc inaliénables ». Mais l’Administration a changé son fusil d’épaule et reconnaît maintenant que de droits, il n’y a plus et qu’il est temps de sortir du « Fiasco ». L’installation totalement nouvelle et distincte des anciens moulins, construite en 1932, n’a donc pas pu l’être avant la Révolution. Souhaitons qu’une décision de Justice définitive le reconnaisse enfin !

Mais un autre écueil se présente : SHVSS et Administration continuent à faire front commun pour demander un « non-lieu ».

  • Pour la SHVSS, au motif que l’Etat a demandé l’arrêt de la micro-centrale et refusé l’autorisation demandée. « L’astuce » lui permet de gagner quelques années encore, en continuant à turbiner. En effet, si l’Etat a bien décidé d’arrêter les frais l’affaire est devant le Tribunal Administratif de Toulouse. Le jour où celui-ci traitera l’affaire, il ne voudra peut-être pas se déjuger (il avait donné raison à la SHVSS en 2016, d’où l’appel. Il a cassé en référé la décision du préfe tde fermer l’usine au motif que celle-ci dispose de « droits fondés en titre ») et l’affaire pourrait bien retourner en appel : on sera alors autour de 2022 ou 2023. C’est peu l’histoire du « serpent qui se mord la queue »… Autant de précieuses années gagner pour turbiner encore et toujours en asséchant les cascades et au passage s’enrichir illégalement dans l’attente de la décision qui ne vient pas ?
  • Pour le Ministère de l’Environnement qui défend en appel les intérêts de l’Etat, le non-lieu pourrait bien être aussi une stratégie pour tourner la page de 80 ans de fraude sans en assumer les conséquences…

Affaire à suivre…

Un schéma pour comprendre

Le schéma donne à comprendre clairement à comprendre en quoi les moulins du moyen-âge (orange) sont des installations totalement distinctes de l’installation « moderne » de 1930 (vert), elle-même totalement distincte des rivières (bleu). L’installation de 1930 aurait d’ailleurs permis aux moulins qui subsistaient encore de continuer à fonctionner : encore eut-il fallu garder en état les dérivations. Or celles-ci ont été définitivement détruits, perdant définitivement les derniers droits d’usage de l’eau préservés depuis 1789 et attribués à chaque moulin individuellement. A noter que par une décision de la cour d’appel de Montpellier de 2005, les droits attribués à l’un de ses moulins (Moulin Revel) ont été définitivement perdus. Les propriétaires ont été indemnisés financièrement puisqu’il n’était plus alors possible de remettre en marche le moulin disparu…

Un plan pour situer

Emplacements des moulins, des rivières et des installations hydroélectriques sur une carte contemporaine. la proximité des 3 circuits d’eau m’empêche pas qu’ils soient totalement distincts…


Deux miracles à élucider

Au cours de leur démonstration, les juges administratifs auront aussi à se pencher sur plusieurs épisode surprenants constatés au cours des 8 dernières années dont 2 « apparitions miraculeuses » :

    • La déclaration d’intention de poursuivre l’exploitation au delà de la fin de la concession du 31 décembre 1998. Alors que l’Etat n’avait cessé de dire et d’écrire que l’exploitation risquait de s’arrêter en 2005 car l’exploitant n’avait jamais déposé cette demande, l’extraordinaire arriva et l’on retrouva cette lettre à la veille du CODERST du 8 décembre 2010 qui devait se prononcer avant autorisation définitive.
      On demanda au préfet copie du document et de son accusé de réception permettant de l’authentifier. Il ne répondit pas. La CADA fut saisie et la préfecture nous adresse copie de la lettre demandée et même de la réponse ministérielle du 17 mars 1999.
      Afin de vérifier l’authenticité de ces documents, on sollicita le Ministère qui ne répondit pas. La CADA nous donna un accord favorable mai le ministère resta silencieux. L’affaire fut portée devant le tribunal Administratif de Paris qui nous donna raison mais le ministère ne s’exécuta pas. Il fallut enfin alerter le président du Tribunal pour que le ministère réponde enfin, le 28 juin 2014, qu’il reconnaît ne pas posséder les originaux des documents demandés, qu’il justifie l’absence de preuve de la date d’arrivée par le fait qu’en ce temps là (1998 !), il était d’usage d’indiquer la date de la réception sur l’enveloppe qui compte tenu de l’ancienneté n’a pas été conservée (SIC). Il ne s’étonne pas que le Ministère n’ait pas retrouvé l’original du courrier ministériel du 17 mars 1999…
    • La convention du 4 août 2006 : alors que l’Etat n’avait cessé de dire de 2006 à 2012 que l’exploitation de la microcentrale hydroélectrique était autorisée par « délais glissants » aux conditions de la concession, c’est-à-dire pour une puissance de 1150 kW, voila qu’à la veille de l’arrêté du 10 décembre 2012, dit « de sursis à statuer », la préfecture retrouve par miracle une convention signée le 4 août 2006 qui restreint la production à 530 kW (les fameux « droits fondés en titre »)… Désormais, dans tous les documents produits par l’Administration comme par la SHVSS, on fera « comme si » la SHVSS n’avait turbiné que de manière réduite durant la période 2006-2012…
      Pourtant tous les habitants de Salles-la-Source sont témoins que durant cette période la cascade fut la plupart du temps asséchée et que l’usine turbinait au maximum de ce qui était possible.
      Pour en avoir le cœur net, « Ranimons la cascade ! » sollicita la préfecture et EDF pour obtenir les relevés de production qui permettraient de trancher l’affaire. Ils ne répondirent pas. La CADA nous donna raison en 2013 mais depuis cette date EDF et la préfecture font la sourde oreille et se renvoient la balle…

Bien d’autres épisodes tragi-comiques mériteraient d’être cités telle que la levée des deux réserves émises par le commissaire enquêteur en 2010 par  le sous préfet Jean-François Moniotte qui valida devant le CODERST l’existence d’une table ronde fantôme qui n’a jamais eu lieu et authentifia des comptes abracadabrantesques pour justifier de la capacité financière de l’entreprise (qui sera condamnée pour abus de biens sociaux en 2018)…

Sera sans doute aussi évoqué lors du procès, le prétendu « débit réservé » qui ne fut jamais appliqué et a été confondu avec un « débit restitué à partir de la conduite forcée » qui permet, aujourd’hui encore d’alimenter artificiellement la cascade  tout en asséchant un tronçon d’une centaine de mètres en amont de la cascade…

Alimentation artificielle de la rivière à partir d’un piquage sur la conduite forcée (janvier 2018)

 

5 Responses to Le 22 janvier se tiendra l’audience devant la cour d’appel administrative de Bordeaux

  1. Denis dit :

    je croise les doigts !

  2. Bob dit :

    Savez-vous quelle direction donne le rapporteur public à ses conclusions ? En principe, le résumé est connu quelques jours à l’avance.

  3. […] 22 janvier 2019, se tenait devant la Cour d’Appel Administrative de Bordeaux, l’audience concernant le recours en appel mené par « Ranimons la cascade ! » contre le Mi…. On se rappelle que le  Tribunal Administratif de Toulouse avait donné raison à […]

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