Ce que peut nous enseigner aujourd’hui l’accord de 1972 jamais respecté

Cet article s’adresse à des lecteurs déjà un peu familiers du combat pour la cascade. Il revient sur un épisode important du combat pour la cascade qui peut éclairer les événements actuels. Il s’agit de l’accord qui avait été signé le 20 mai 1972 entre la Municipalité et la Société Hydroélectrique de Salles-la-Source.

Cet accord faisait suite à 40 ans d’exploitation illégale, à l’accident sur la conduite forcée de 1971 et à la contestation de plus en plus massive dans l’opinion de la Société Hydroélectrique qui spoliait le site de la cascade. Il prétendait réussir la « quadrature du cercle », à savoir concilier débit suffisant à la cascade, protéger le site inscrit au patrimoine, poursuivre l’exploitation électrique et apporter des devises à la commune par une redevance d’occupation du domaine public.

Si la solution préconisée à l’époque (dispositif de pompage faisant remonter en permanence l’eau de la vasque vers le haut de la cascade) peut paraître aujourd’hui un peu artificielle, elle a néanmoins été reconnue par toutes les autorités de l’époque comme acceptable et a servi à rendre acceptable la signature de la concession. Nous allons voir ici comment cette décision n’a jamais été appliquée, par ce que considérée comme non applicable, et comment l’accord a été illégalement modifié par le Conseil Municipal, sitôt la concession signée et ce sans que l’Etat n’y trouve à redire.

L’accord de 1972

Selon cet accord, la commune « donnait un avis favorable à la demande de concession en vue de sa régularisation et toutes les autorisations nécessaires pour la traversée des voies publiques et l’entretien des ouvrages situés sur le domaine public communal et bien entendu pour l’achèvement des travaux de réparation actuellement en cours.

En contrepartie, la société hydroélectrique s’engageait :

– à verser une redevance communale annuelle de 15 000 F indexée sur le prix d’achat de l’énergie par EDF.

– à installer un dispositif permettant par pompage, d’alimenter la cascade de Pâques à la Toussaint, de 8h au coucher du soleil, avec un débit de l’ordre de 200 l par seconde.

– à céder à la commune des bâtiments et sols de l’ancienne usine à draps et ses bâtiments annexes pour le prix de 15 000 F ».

Le conseil municipal du 27 février 1972 avait, à propos de cet accord, estimé que « cette convention était avantageuse pour toutes les parties et que si elle avait pour conséquence la reprise de l’exploitation de l’usine, elle améliorait de façon substantielle les ressources communales, tout en sauvegardant le site de la cascade ».

Cet accord était venu après 40 ans de conflits à propos de la cascade asséchée, au terme de très longues procédures judiciaires, afin de contraindre la Société électrique à déposer une demande de concession, et après un grave accident qui aurait pu s’avérer dramatique : l’explosion de la conduite forcée au milieu de la traversée du village.

Le Maire de l’époque, Serge Laporte, avait alors su se montrer ferme et utilisé son pouvoir de Maire pour interdire la traversée des voies communales par la canalisation de l’entreprise contestée. C’était probablement la première fois depuis 40 ans !

L’accord, pour contestable qu’il soit du point de vue de la légalité, affirmait concilier dans une position de compromis équilibré, débit suffisant pour la cascade, poursuite de l’exploitation hydroélectrique et redevance venant abonder le budget communal.

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 Un long processus jusqu’à la signature de la concession en 1980

La signature de l’accord permit la remise en marche de l’installation après travaux mais il fallut attendre huit ans, après la signature de cet accord pour que la situation se « régularise », par la signature d’un décret de concession, non sans de nombreuses pressions des défenseurs de la cascade.

Ainsi le Docteur Vesco, ancien Maire de salles-la-source de 1965 à 1968 qui s’étonnait auprès de M. Pinard, architecte des bâtiments de France, le 6 juillet 1973 : « A ma connaissance, les démarches officielles pour l’obtention de cette concession n’ont pas été faites et l’usine, qui avait cessé de fonctionner, a été remise en marche ». La demande ne sera finalement déposée que le 28 août 1973.

Les démarches de « régularisation commencent avec lenteur et le 19 avril 1974, l’Inspecteur régional des Sites, de la DRAC de Midi-Pyrénées donne son point de vue au gérant sur le débit de la cascade, Étienne Bastide : « Le problème de l’alimentation régulière en eau de cette cascade dont l’importance est certes essentielle pour le site de Salles-la-Source, ne doit pas être dissocié du problème plus général et plus fondamental d’un règlement d’eau sérieux capable de fournir une quantité d’eau suffisante pour assurer l’intégrité du site de la cascade. Plus précisément, les services des Affaires Culturelles et de l’Environnement ne pourront donner un avis favorable à la demande de concession présentée par votre société que si un débit suffisant est assuré pour fournir un écoulement d’eau convenable dans le ruisseau le créneau lorsqu’il traverse la petite plaine haute en amont du village de salles-la-source ».

Le 7 octobre 1976, l’Architecte des Bâtiments de France, M. Delmotte, consent à donner un avis favorable « à condition qu’aucune prise d’eau ne soit effectuée ni samedi-Dimanche, ni en période touristique, ni les jours fériés.

Le 24 novembre 1976, M. Delmotte donne son avis à M. Moreaux, conservateur régional des Bâtiments de France sur la convention signé en 1972 entre la commune et la société hydroélectrique : « on y trouve des garanties suffisantes relatives au débit de la cascade ». Celle-ci « permettent qu’une réponse favorable soit faite ».

La Commission des Sites se réunira peu après et au vu de son avis, Le sous-directeur des sites et espaces protégés du secrétariat d’État à la culture, alerté sur ce dossier, pourra écrire au Ministre de l’Industrie, le 21 février 1977 : « je donne mon accord à l’enquête du projet sous réserve du respect de la convention passée entre la Société et la commune de Salles-la-Source aux termes de laquelle la société s’est engagée à installer un dispositif permettant par pompage d’alimenter la cascade de salles-al-source de Pâques à la Toussaint de 8 heures au coucher du soleil avec un débit de l’ordre de 200l. Seconde ».

Le 9 mai 1977, le ministère de l’Industrie autorise l’ouverture d’une enquête réglementaire qui se déroule du 2 au 22 novembre 1977. Elle suscite de très nombreuse observations concernant la protection du site.

le 20 novembre 1977, consultée pour avis lors du dossier de demande de concession de la SHVSS, le conseil municipal confirme sa position du 27 février 1972 convention et station de pompage).

Le 6 décembre 1977, se réunit la commission d’enquête publique dont un des membres est… Étienne bastide, dirigeant de la Société Hydroélectrique !

Celle-ci conclura dans son procès verbal :

 « L’importance du nombre de déclarations de provenances très diverses montre l’intérêt porté par les touristes au site de Salles-la-Source…

La municipalité très réaliste a signé en 1972 une convention avec la Société hydroélectrique qui permet à la fois de conserver l’aspect général et principal du site et la récupération de ressources moyennant des accommodements réciproques.

Dans ces conditions et compte tenu des quelques réserves ou avis formulés dans le cours de son rapport, la commission d’enquête émet un avis favorable à la poursuite des formalités nécessaires à la délivrance de la concession sollicitée par la Société Hydroélectrique de Salles-la-Source ».

L’instruction se poursuit et paraîtra le 10 juillet 1978,  un rapport signé de trois ingénieurs. Les ingénieurs mentionnent le projet de station de pompage dont « le schéma de principe de l’installation a été présenté par le pétitionnaire le 13 mai 1978 ».

Les ingénieurs « donnent un avis favorable de principe à l’installation de ce système qui paraît constituer de la part de la Société un geste appréciable de bonne volonté, compte tenu du débit fondé en titre dont elle est indéniablement propriétaire, qui donnera pendant les mois d’été à la grande cascade, l’animation qu’elle n’aura pas auparavant ».

Ils rappellent le point de vue favorable du Service régional de l’aménagement des eaux sous réserve notamment que « en dehors de la période de Pâques à la Toussaint, un débit de 100 l/s minimum d’eau soit maintenue en permanence en aval de la prise d’eau ».

Finalement, nos trois ingénieurs, après avoir dénigré et écarté la position des très nombreux opposants au projet considérée comme irréaliste (l’Association de défense du site de Salles-la-Source) donnera un avis favorable à la concession en s’appuyant sur l’engagement de la société de 1972 à maintenir un débit suffisant à la grande cascade de Pâques à la Toussaint.

Le 3 octobre 1978, M. Delmotte confirme finalement son accord « sous réserve du respect de la convention entre la Société et la commune ». Le même 3 octobre 1978, le Ministère de l’environnement donne son accord pour la concession « sous réserve du respect de la convention ».

C’est ainsi que, moyennant l’engagement des parties à respecter les termes de la convention conclue avec la commune en 1972,  est signé le 17 mars 1980 le décret de concession pour 25 ans.

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Extrait de la lettre du 3 octobre 1977 du Ministère de l’Environnement

La trahison des élus et le silence de l’Etat

La station de pompage, encensée par la municipalité et l’ensemble de tous les services de l’Administration va-t-elle être réalisée ?

Lors du Conseil municipal du 10 septembre 1981, il est enregistré : « la société électrique fait savoir qu’elle est prête à installer le dispositif de pompage prévu lors de l’accord de 1972. Cette installation sera réalisée en totalité sur le domaine communal ».

Mais – coup de théâtre ! – le maire, lors du conseil municipal du 14 mars 1982 donne connaissance de « l’offre faite par la société hydroélectrique d’installer une pompe à chaleur en remplacement du pompage qui devait permettre à la cascade de se déverser avec un débit minimum de 200 l/s tous les jours de l’année. Les personnes compétentes en matière de protection des sites n’apprécient plus le caractère artificiel de l’écoulement de la cascade. Certains habitants voisins se prétendent gênés par le dépôt de tuf sur les vitres des fenêtres. D’autres se plaignent de l’humidité pénétrante en raison des embruns. Le seul chemin qui conduit vers le haut du village est souvent verglacé l’hiver à son passage devant la cascade. La société s’engage en outre à faire couler la cascade tous les dimanche et à la demande, lors de manifestations ou de visites de personnalités. »

D’un revers de main, dix ans de débats, d’enquête publique, d’accords laborieusement validé auprès de toutes sortes de commissions, administrations et ministère te qui avaient permis la signature du décret de concession, sont balayés, au nom de prétendues plaintes anonymes ! De prétendues personnes compétentes en matière de protection des sites n’apprécient plus le caractère artificiel de la solution qu’ils ont, à de multiples reprises, validées !

Et toute honte bue, trahissant tous ses engagements et sans en référer à qui que ce soit, le Conseil municipal de Salles-la-Source renonce à la solution mise en place pour sauvegarder le débit et faire passer le projet !

Les arguments invoqués pour justifier ce retournement de position prêtent largement à sourire car la gêne que peut apporter la cascade auprès des riverains est uniquement due aux périodes de forte pluviométrie, lorsque celle-ci coule avec un débit de plusieurs mètres cube/seconde. Dans ces périodes, que l’usine tourne ou non ne change rien à l ‘affaire ! Pour l’essentiel de l’année, le débit de la cascade n’est pas suffisant pour déborder sur la route.

le 5 février 1984, le maire donne finalement « connaissance de la nouvelle offre de la société hydroélectrique d’effectuer un versement unique et forfaitaire en francs : 200 000 F en remplacement de la pompe à chaleur prévue ». Celle-ci « pose en effet des problèmes techniques, compte tenu de l’éloignement et de la dispersion des divers bâtiments communaux ou maison de retraite ».

C’est par ce tour de passe-passe, que la cascade a été à nouveau asséchée quelques décennies de plus. L’Administration qui aurait dû contester ces décisions qui modifient un décret ministériel en toute illégalité les valident. En effet, l’article 23 du cahier des charge annexé au décret de concession prévoit que la station de pompage devra être réalisée par le concessionnaire sans qu’il y ait lieu à révision, à moins d’entente nouvelle entre les parties prenantes ». Il est évident que ces dernières sont : la mairie, la SHVSS, mais aussi l’Etat.

Les avenants 1 (du 17 mai 1982) et 2 (non daté)  sont bien signés par les deux premières parties, mais l’Etat n’est pas intervenu pour valider ces accords en prenant  un avenant au décret modifiant l’article 23 du cahier des charges. L’article 23 est donc resté en vigueur jusqu’à la fin de la concession en 2005 mais jamais appliqué sans que nulle autorité n’y trouve à redire.

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Décision du Conseil Municipal du 14 mars 1982 

La collusion entre Société Hydroélectrique et Administration est ainsi poursuivie, à peine signée la concession, au mépris de toutes les promesses et des accords signés.

Par incompétence peut-être (sinon, cela voudrait dire par malhonnêteté…), le Conseil municipal en a été l’instrument.

Ces événements nous rappellent que des décisions municipales qui s’affranchissent de la légalité et de l’opinion des électeurs, quelles qu’en soient les raisons, sont parfois porteuses de lourdes conséquences pour les générations qui suivent.

Ils nous rappellent également que les discours qui reviennent régulièrement selon lesquels on pourrait sans problème laisser turbiner et laisser couler la cascade sont du domaine de l’illusion ou de la méconnaissance totale du débit du Créneau.

3 Responses to Ce que peut nous enseigner aujourd’hui l’accord de 1972 jamais respecté

  1. Ergé dit :

    Ni le dispositif de pompage (convention de 1972), ni la pompe à chaleur (avenant n° ) n’auraient été réalisés. L’indemnité de 200 000 francs (avenant n° 2) a -t-elle été versée ?

  2. A notre connaissance, l’indemnité a été versée. Lassée de trop de promesses non réalisées, la Municipalité a accepté, sans peut-être savoir que c’était illégal, de modifier les conditions de l’accord et de sacrifier la cascade, sans en référer à l’Etat et ce pour un peu d’argent qui soulage le budget communal.
    On paye, longtemps après, les conséquences d’une telle décision, basée sur une méconnaissance de la légalité et une vision à court terme…

  3. […] récit de l’origine de cette redevance, créée en 1972, avait été raconté sur ce site  sur ce site le 17 janvier 2016. Celle-ci avait […]

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